Atelier paradigme 001

Dimanche 3 juin 2018 10:33

Cher Alain,

Oui, j’ai lu attentivement le n° 47 de la revue du MAUSS, fin-mars, avec passion, près de deux jours durant. Le 28 mars, j’en ai alors adressé la version numérique à mon compère, Christian Comeliau. Elle était accompagnée d’un long commentaire que j’introduisais comme ceci :
« Si tu n’as pas beaucoup de temps dans l’immédiat, je te recommande la « présentation » signée d’Alain Caillé et Philippe Chanial. Comme je te l’ai dit, je suis en pleine sympathie avec les méditations qui sont ici réunies et, au moment où je découvre ces textes, avant-hier, je ne m’étonne plus du sentiment de proximité que m’ont donné les premières réunions du club convivialiste.
Pour ce qui est des références, nous sommes proches notamment par l’importance que nous donnons au Je-Tu de Martin Buber (si tu ne l’as pas déjà lu ou travaillé, regarde la première partie « Entrées en relation ») et nous nous écartons, sans désaccord, sur les places accordées à Marcel Mauss (décisif pour eux) et à Emmanuel Levinas (décisif pour moi). »

C’est dire que, comme vous, je nous sais « en ligne » sur « l’approche relationnelle » (ou « relationniste » comme vous dites).


Sur cette question de vocabulaire
Pour des raisons pédagogiques, je tiens à la trilogie « traditionnel, rationnel, relationnel ».
Si l’on utilise le néologisme « relationniste », non seulement on jargonne, ce qui est contraire au but de diffusion qui nous anime, mais on est contraint de chercher la rime en « iste ». Elle donne « traditionaliste », qui est possible, mais péjorative, ou « fondamentaliste », qui a les mêmes caractéristiques tout en étant plus restrictif. On a ensuite « rationaliste », péjoratif également, qui peut servir mais dans certains cas seulement parce qu’il faut dépasser la raison et la tradition, mais qu’il serait suicidaire de prétendre s’en passer.


De cette rencontre, j’ai conclu que je pouvais greffer mes réflexions sur celles des Convivialistes, d’où cette proposition immédiate que, progressivement, je rends publique…
À la question posée « Au commencement était la relation… Mais après ? », c’est en toute confiance que je réponds : « Il n’y a pas d’après, car il n’est pas d’au-delà de la relation dont nous puissions parler et donc dans lequel, ensemble, nous pourrions agir. »
Le contenu du paradigme de refondation de ce que vous appelez « la science sociale » s’en déduit, que j’ai esquissé dans mon envoi précédent sur :

L’approche relationnelle

 

Le souci de ne pas écraser d’éventuels lecteurs m’a conduit à être relativement bref, au risque de paraître anodin et, plus sérieusement, ambigu.

De toute façon, comme je vous l’écrivais le 29 mars, au lendemain de l’échange ci-dessus avec Christian Comeliau, la formulation complète de ce type de pensée « donne matière à débat en même temps qu’à choix tactiques et réflexion stratégique ». J’imaginais alors une ou des réunions de travail en petit comité, préparées par l’envoi de « maquettes » à débattre sur les deux sujets que nous travaillons, le « développement » et le « changement de paradigme ».

Les dysfonctionnements du Forum et des Listes courriel, l’agenda du Club et votre relatif silence ont montré que cette formule n’était pas adaptée au fonctionnement présent des Convivialistes. J’en suis donc venu à penser que, plutôt que de chercher l’échange direct, il fallait passer par des solutions que je maîtrise et donc la publication sur mon blog.


Voir l’article mentionné ci-dessus sur «L’approche relationnelle» ou celui que j’ai publié depuis sur Badiou, que j’ai intitulé « 50 ans après mai 68, Badiou fait le bilan » (j’y collationne ce que Badiou vient d’écrire et de dire sur le sujet ; à cette occasion, j’explicite le bilan philosophique et politique que je fais moi-même de Badiou et dit la nécessité de dépasser la vieille alternative politique « puissance vs. impuissance » et sortir enfin de « la problématique du pouvoir »).


Avantages supposés de cette formule ?
La richesse de mise en page. Je la crois nécessaire pour organiser la lecture.
Et l’archivage commun, organisé par celui (moi) qui est vraiment motivé par la question parce que c’est ainsi qu’on a le plus de chance que ça fonctionne.

En conséquence, sauf indication contraire de la part de nos interlocuteurs, je me propose de faire de la même manière une publication « privée » des réponses et contributions que l’on voudra bien faire à « l’atelier paradigme ».

Ce que je prévois pour la suite ?

D’abord, une « critique méthodique du Manifeste convivialiste ».
J’ai d’abord cru pouvoir faire cela simplement mais, en me relisant, j’ai réalisé que cela manquait de contexte. J’ai donc repris en détail la « Présentation – Au commencement était la relation… Mais après ? » (cosignée par Philippe Chanial et vous) du n° 47 de la revue du Mauss.

Je vous disais que ma lecture avait été attentive. Ma copie est donc maculée de surlignages et de commentaires. Il y a là des idées utiles à la suite du débat.
Je vais donc les éditer de la même manière. Cela constituera la seconde partie de ce que je propose comme « critique méthodique du Convivialisme ».
C’est un élargissement.

Mais, comme tout cela est bien lent, permettez-moi de risquer une indication rapide de ce que j’ai en tête.

La critique fondamentale que je fais à l’approche convivialiste ?

Elle prétend à l’universalité, ce qui la fait tomber dans les paradoxes de l’auto référence avec ce que cela implique de contradictions et de conflits.

Ceci me paraît résulter de sa crainte de rompre avec deux des alibis que l’Occident s’est donné pour dominer et piller :
– l’exigence humaniste de générosité d’intention dont nous nous autorisons à tout moment pour décrier les désobéissants et brutaliser tous ceux qui en dépendent ;
– l’exigence scientiste de neutralité axiologique par laquelle, au nom de la vérité, la raison, le réalisme, nous faisons briller nos résultats tout en cachant nos buts.

Cette critique est dure, et pourtant elle reste intérieure au convivialisme dans la mesure où (cf. son Manifeste) il part de l’impuissance de l’humanité « à résoudre son problème essentiel : comment gérer la rivalité et la violence entre les êtres humains ? […] ».

Lorsque je dis que « la destruction mutuelle est la pierre de touche de l’approche » que je propose, c’est équivalent.

J’en déduis que « notre projet », quel que soit le nom qu’on lui donne, est politique, et que cette notion, sans renoncer aux disciplines « scientifiques » d’information, de cohérence et de vérification expérimentale, en tant que politique, elle les « dépasse ».

Les propositions que je fais ?

Si la destruction mutuelle, et donc les conflits inutiles et les souffrances évitables, sont la pierre de touche, renonçons à tout esprit de domination et mettons en œuvre une politique de concordance.
Cela passe par l’ajustement de tous nos comportements à la série de ces critères et déploie pour le mouvement une perspective d’évolution qui est rigoureusement soumise à une exigence d’auto similarité : structures et personnes, à chaque étape se réajustent à ces critères.Il en résulte un renoncement à tous les arguments d’autorité (un choix dont je considère qu’il doit être affiché, d’où mon insistance sur le fait qu’il s’agit d’une approche « négative »)…
– Au plan intellectuel, c’est l’abandon de toute prétention métaphysique ou politique à l’universalité, avec ce que cela implique de réinterprétation des acquis.
– Au plan politique, c’est la renonciation à la force et la concentration exclusive sur les seules actions communes qui émergent du choix libre et conscient des acteurs.

Tout cela est trop général, bien entendu. Il ne s’agissait là que de donner un aperçu en attendant des développements plus détaillés, à commencer par ceux qui apparaîtront dans ce qui me reste à mettre en ligne de « critique du convivialisme ».

Bien cordialement et à demain, puisque nous nous croiserons et, avec un peu de chance, nous nous rencontrerons à l’occasion de la réunion à l’Institut de France : « Ce que la misère donne à penser ».

Pierre Nicolas

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