Barbie (suite et fin) : démontons les enjeux

Hier, j’ai dit l’intérêt que j’ai pris à cette rétrospective humoristique sur l’un des mythes qui ont hanté ma génération, celle des baby-boomers, et les plaisirs donnés par ce mélodrame pour adultes.

Le pacte narratif

L’article ci-après opère à contresens. Au lieu de se laisser emporter par un spectacle grand public, il en démonte l’évident édifice de clichés.

La Barbie qu’a vue la rédaction d’« Écran Large » se prend les pieds dans les incohérences de l’univers imaginaire où on la plante et les ellipses arbitraires d’un scénario trop calculé.

  • Le monde réel auquel, avec crainte, elle aspire, n’est encore que sourires et plaisanteries, riche de satisfactions instantanées (sauf quelques tâtonnements et deux courses poursuites), sans vrais soucis d’argent ni conflits sexuels.
  • Mattel, qui vend tout cela, est une grosse affaire gérée par de grands enfants capitalistes, maladroits et malins, gentiment ridicules, profitables et profiteurs mais sympas.
  • Quant aux Barbies d’aujourd’hui, elles auront les carrières qu’elles voudront, pourvu qu’elles s’entendent avec les Kens du temps présent.

Mais Barbie (le fim) propose un univers de fiction, le « Barbie Land » et son environnement immédiat.
N’essayez d’y entrer que poussés par la « foi poétique » (Coleridge) dont vous investissez les personnages et les situations que vous voulez aimer.
Prendre cette décision vous engage à mettre tout scepticisme de côté si le récit, momentanément, vous heurte en sacrifiant la réalité vérifiable (la vraisemblance). C’est parfois nécessaire pour rester fidèle à la vérité vécue (la cohérence émotionnelle).

Narrateurs de tous les pays et de toutes les causes, l’essentiel pour vous est d’ordre affectif. Ne l’oubliez jamais.

D’une génération à l’autre

Le vrai problème posé par Barbie est à penser en termes de générations.

Pour comprendre la poupée, son marketing et son « monde », il faut savoir distinguer entre les rêves et pensées d’avant la puberté, et les obsessions d’après.

Cette distinction a parfois été déniée par ma génération, d’où les scandales « moraux » (pédophilie ludique, viols de rigueur dans le métier, incestes sous le boisseau, abandons négligents, menaces de féminicide) et les dénis physiologiques (loisirs contagieux, overdoses, errances sexuelles, burn-outs, désordres alimentaires, sports dangereux) qui émaillent son histoire.

Nos pères avaient fait leur guerre. Ils obéissaient pour détruire et vaincre, puis ils ont reconstruit et tenté de créer des conditions de réussite pour la génération suivante.

En Europe au moins, ce fut celle des baby-boomers et de l’après-Barbie. Ayant été les jouets de ceux qui nous avaient précédé, sans responsabilité par rapport à ce qui nous était donné, nous n’avions plus à obéir. On nous demandait juste de nous conformer. Nous avons désobéi sans d’autre peine, croyions-nous, que pour nous, et n’avons plus songé qu’à entreprendre et nous réaliser.

Génération de l’épanouissement personnel, avec du rose-Barbie dans les lunettes, nous avons aussi été la génération de l’irresponsabilité.

Certes, nous avons touché à tout mais — la bombe, la chute du mur de Berlin, le désarmement, les pandémies, le choc des impérialismes et des populations, le dérèglement climatique — combien d’occasions avons-nous ratées ?

Les générations précédentes n’ont pas fait mieux.
Il est trop tôt pour dire qu’au XXe siècle au moins, elles ont fait pire.
Notre bilan s’établira dans le siècle qui vient.

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Post-scriptum pour une petite fille de six ans

Une amie m’a demandé si Barbie pourrait plaire à sa petite fille de six ans

Je lui ai répondu que non :

Elle s’attendra à voir la gentille histoire d’une belle poupée, mais sera bientôt complètement dépassée par les retournements de l’intrigue.

En outre, dès le début du film, tu la trouveras en pleurs, effrayée par une séquence, spectaculaire, intelligente, bien faite, dans laquelle un groupe de petites filles qui, avant l’apparition de Barbie, jouaient à la maman avec des bébés en celluloïd (avec tables à repasser, aliments en plastique et fausses machines à coudre), se prennent de rage contre leurs petits baigneurs qu’elles massacrent avec une violence analogue à celle des hominidés de « 2001, Odyssée de l’espace ».

Touchés qu’ils étaient par la grâce du monolithe extraterrestre, ils introduisaient dans l’histoire de l’humanité ce grand progrès : la guerre à mort entre clans rivaux.

De même, les petites filles, instantanément médusées par la divine apparition de la statuesque Barbie, tournent le dos à la maternité et, désormais femmes sûres d’elles-mêmes, solidaires entre elles, traitent les hommes comme de simples accessoires et se constituent la garde-robe nécessaire à leur affirmation aux premiers rangs de la féminité.

Il est peut-être un peu tôt pour la mettre face à de tels choix.

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