Le concept d’humanité présuppose l’unité des humains alors qu’elle n’est, au mieux, qu’un projet proposé par quelques-uns, très divers et peu conscients de ce que l’idée même a de contradictoire. Dire « humanité », c’est prétendre à des savoirs d’ordre statistique qui tournent le dos à l’homme pour se hisser au delà, dans une impossible et inhumaine objectivité. Les débats qui naissent de ces calculs n’ont pas de solution rationnelle et il leur manque toujours ce qu’au départ ils ont abstrait.
Deux solutions alors : – abandonner la prémisse (notion d’humanité), ce que je recommande, – ou en faire un argument d’autorité (par exemple en posant que celui qui refuse la notion d’humanité devrait être immédiatement dénoncé comme allant vers l’inhumain), un dogme dont on ne peut en toute rigueur déduire que des mesures totalitaires (gouvernement mondial par exemple).
Pourquoi innove-t-on ? Pour franchir un obstacle, surmonter une crise. Ce qui ne va pas dans le présent nous force à chercher des solutions correctrices, à imaginer et mettre en œuvre ce qu’on croit être des changements souhaitables.
Ce ne sont donc pas les beautés de l’avenir envisagé qui nous inspirent, ce sont les souffrances, les frustrations et les craintes suscitées par le chaos présent. Ainsi errons-nous dans l’histoire, aventurant des options que personne n’a tentées avant nous, mais cette histoire que nous faisons, personne ne la connaît, nul ne sait ce qu’il en sortira. Elle se fait par nous et en nous, initiée par nous mais sans rien de notre part qui ressemble à un consentement éclairé.
Il s’agit là d’un essai puissant, nuancé, profond, riche et novateur : il desserre les nœuds coulants conceptuels qui nous étranglent et nous attachent « aux systèmes » du moment, ceux qui nous ont conduit à la crise.
Les quelques limites de ce texte sont largement imputables à sa date de publication : on en savait moins le 8 avril qu’aujourd’hui. Peu importe. Il ne s’agissait pas pour l’auteur de définir ce qu’il fallait faire dans tel ou tel pays, à tel ou tel instant, mais de proposer une réflexion à long terme sur les concepts qui prédéterminent nos réactions face à la pandémie.
Illich fait deux critiques à la modernité telle que nous la connaissons…
[Ma déclaration lors de ses obsèques, le 16 juillet 2013]
Il y a d’abord le bel homme, le bon géant aux larges épaules, le Laurent que j’ai découvert il y a 45 ans ‐ nous avions à peu près 22 ans l’un et l’autre ‐ « Laurent » puisque c’est ainsi qu’il s’était présenté et que je l’ai toujours appelé : Michel Laurent Dioptaz. D’autres l’ont connu différemment. Je vous parlerai, moi, de Laurent dans le souffle de la parole puisque je suis un homme de langage et qu’il était un bavard intarissable (moi aussi), ce Laurent que j’ai aimé, vif‐esprit, très inventif et toujours aimable.
Amina Khilaji est une Canadienne française originaire du Maroc ayant fait des études à l’UQAM (Université du Québec à Montréal). Elle s’est portée volontaire comme « employée de renfort » dans un établissement d’accompagnement de fin de vie, ce qu’on appelle au Québec un CHSLD et, en France, un EHPAD. Toutes les jeunes femmes de 28 ans n’ont pas envie de prendre en charge des vieux en fin de parcours mais elle, pour avoir dans son adolescence accompagné sa mère cancéreuse, était sensible à leurs misères.
Son témoignage nous dit ce que l’on vit dans de tels établissements, et comme souvent on y meurt. C’est poignant et rend justice à tous ces soignants, généralement des soignantes et, bien souvent, des immigrées.
En Chine, comme ailleurs dont la France, la majorité de nos populations entre en mode survie, cela change nos cultures. Avec le virus et la déflation, il y a de la dystopie dans l’air.
Création de Henry J. Kaiser (1882-1967, la KFF (Kaiser Family Foundation), dotée en 1948 de la moitié de la fortune du fondateur et réorganisée en 1991, a pour objet les questions de santé. Ses graphiques et tableaux de suivi sont particulièrement maniables. Ceux qui suivent ont été créés avec leur
Coronavirus Tracker
.
Aux États-Unis
La première page de ce site américain met en exergue une courbe effrayante : celle de la croissance du nombre de personnes contaminées (
cases
) aux États-Unis.
Le présent confinement est l’accident planétaire qui soudain nous confronte à notre ignorance radicale, à ce que les prétentieux savoirs quotidiens choisissent d’ignorer : l’inconnaissance.
J’en ai proposé une première analyse en 1990 dans un ouvrage intitulé : La Cité de la Parole. Éditions L’ŒUVRIER. 192 p.
L’expérience du confinement est le moment de relire le chapitre correspondant…
Dans le nuage d’inconnaissance
Le danger qu’on apprivoise écarte la folie.
Des rives de la mort à la vie collective, le vieux Charon seul est humain : pour gagner l’obole des vivants, il faut agir en passeur d’âmes.
Enfants du rêve progressiste, nous bâtissons comme les deux premiers des Trois petits cochons : maison de paille, maison de branches, la vie est belle… Qui se souvient du loup ?
Mais les tempêtes, la mort, et quelquefois l’épidémie, viennent nous rappeler qu’il est dehors quelque chose, et que cela peut frapper fort, jusque dedans, au beau milieu de la tranquillité.
Nous nous sommes organisés pour optimiser en fonction de ce qui est le plus probable, et donc le plus profitable, sans tenir compte de ce qui est le plus dangereux, qui pourrait nous tuer. Mais on vit mal dans la crainte, tandis que le désir est promesse de joie. Nous préférons donc parier que tout ira bien, et tant pis pour ceux qui n’ont pas de chance. C’est aussi ce que pensent les pauvres. Ils prennent ce qu’on leur laisse. Il est rationnel pour eux de vivre et planter sur les flancs du volcan parce que la terre y est meilleure qu’ailleurs mais, à la catastrophe, on s’étonne : qu’allaient-ils donc faire là ?
Mais n’est-il pas évident que, manque de masques, manque de lits, manque d’hôpitaux, manque de recherche, nous pensons comme eux ? Que sommes-nous donc allés faire dans cet avenir insupportable ?
S’envoler, c’était le rêve d’Icare mais, sans parachute,
c’était déraisonnable.
Or l’homme ne fait rien d’important sans coopération et ne saurait coopérer intelligemment sans réciprocité. Quand il s’agit de faire plus, on parle d’esprit d’entreprise. Quand il s’agit de parer aux risques, on parle de solidarité.
Réimaginer, repenser, redessiner nos solidarités, favoriser toutes celles qui s’amorcent, telles sont les priorités que nous enseigne le Ͼonfinement.
Pendant le cloisonnement, on a le temps d’y réfléchir. En guise de lecture pour temps d’épidémie, puisque nous disent nos dirigeants
nous sommes en guerre
, méditons la proposition que Marcel Mauss faisait au lendemain d’une vraie guerre,
la Grande
qui aurait dû être la
der des der
…
et si c’était Table Ronde ?
Les sociétés ont progressé dans la mesure où elles-mêmes, leurs sous-groupes et enfin leurs individus, ont su stabiliser leurs rapports, donner, recevoir, et enfin, rendre.
Pour commercer, il fallut d’abord savoir poser les lances. C’est alors qu’on a réussi à échanger les biens et les personnes, non plus seulement de clans à clans, mais de tribus à tribus et de nations à nations et – surtout – d’individus à individus. C’est seulement ensuite que les gens ont su se créer, se satisfaire mutuellement des intérêts, et enfin, les défendre sans avoir à recourir aux armes. C’est ainsi que le clan, la tribu, les peuples ont su – et c’est ainsi que demain, dans notre monde dit civilisé, les classes et les nations et aussi les individus, doivent savoir – s’opposer sans se massacrer et se donner sans se sacrifier les uns aux autres. C’est là un des secrets permanents de leur sagesse et de leur solidarité.