Changer de paradigme, pourquoi ? (Christian Comeliau)

width=Cette note s’inscrit dans une série d’échanges récents que j’ai eus avec Pierre NICOLAS pour essayer de préciser le contenu que nous voulons donner à la recherche sur « le changement de paradigme ». Nous sommes tous deux d’accord sur la nécessité d’une réflexion approfondie sur ce thème ; mais nous ne lui donnons pas exactement le même contenu.
Les quelques lignes ci-dessous essaient de mieux expliquer le contenu que je souhaite donner à cette notion.

Voir infra les ouvrages disponibles de Christian Comeliau

Pour tenter d’illustrer la nécessité de cette réflexion de manière concrète, je prends comme point de départ un évènement récent survenu en France et abondamment commenté dans la presse, à savoir la démission de Nicolas Hulot de son poste de Ministre de la Transition Ecologique dans le gouvernement d’Edouard Philippe. Je ne reviens pas sur les détails de cet évènement, dont les grandes lignes sont bien connues, et je me borne à en esquisser trois caractéristiques qui me paraissent utiles lorsqu’il s’agit de définir la recherche évoquée ici.

1 – Les discussions soulevées par cette démission, à propos de la difficulté d’établir des rapports satisfaisants entre le domaine de la politique générale et celui de la politique écologique, ont été marquées par l’apparition d’un fossé profond entre les milieux politiques au pouvoir et les milieux intellectuels et associationnistes préoccupés d’écologie. Les premiers ont constamment insisté sur l’étroitesse des marges de manœuvre ouvertes à la politique économique par rapport aux demandes des écologistes, en reprenant une défense vigoureuse de la célèbre formule « TINA » (« There is no alternative »). Les seconds ont au contraire souligné la nécessité inéluctable de revoir en profondeur les rapports entre notre modèle économique et social (particulièrement, mais pas uniquement, dans le domaine de l’agriculture, de l’industrie, de l’énergie et des transports) et les exigences écologiques de la survie de notre mode de vie.

2 – Ces discussions portent également sur la question de savoir si ces difficultés et conflits entre ces deux domaines résultent essentiellement de caractéristiques personnelles propres aux protagonistes, ou si elles proviennent plus profondément de caractéristiques systémiques propres au modèle économique et social qui est le nôtre. Il n’y a pas d’accord parfait sur cette question ; mais il semble qu’une assez large majorité des opinions accepte le caractère principalement systémique de ce conflit. C’est ce point de vue que j’adopte ici.

3 – Cela dit, il reste que personne – aucune personnalité, aucune institution – ne paraît en mesure de proposer aujourd’hui une solution globale à ce conflit extrêmement profond, et surtout extrêmement important pour l’avenir de notre économie, de notre société, de notre culture, et en définitive de notre civilisation. Il s’agit là, avec le maintien de la paix et quelques grandes questions du même type, de l’un des conflits de civilisation les plus importants auxquels nous soyons aujourd’hui confrontés. De multiples élément de solution ont certes été étudiés et proposés, certains même avec un succès remarquable : il reste que le conflit lui-même dans l’ensemble de ses dimensions – et donc avec la vision globale qu’il réclame – n’est absolument pas résolu. Cette incapacité de notre monde à trouver une solution d’ensemble est certes niée par ceux qui ne reconnaissent pas l’importance du problème et par les multiples adeptes de solutions simplistes du style « il n’y a qu’à » : elle n’en demeure pas moins une source d’inquiétude majeure.

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C’est sur ce diagnostic – présenté dans ses lignes essentielles, que je ne cherche pas ici à développer – que se fonde la conviction de ceux qui prétendent aujourd’hui qu’un « changement de paradigme », un changement dans les fondements même de notre système d’organisation économique et social, est indispensable à  la survie de notre monde, et pas seulement un bricolage plus ou moins opportuniste d’une série de mesures qui s’attaqueraient aux multiples conséquences pratiques de ce conflit, mais pas à ses causes.

Ce sont bien ces fondements qui doivent faire l’objet central de la recherche du contenu, des conditions et des perspectives d’un « changement de paradigme ». Il s’agit de toute évidence d’un domaine immense qui paraît décourager la construction de tout programme réaliste. Je crois cependant que cette recherche est indispensable et ne peut être retardée indéfiniment. Il faut donc  s’interroger sur les conditions dans lesquelles un programme réaliste et réalisable pourrait être entrepris. Je n’ai pas de réponse satisfaisante à proposer dès à présent ; je voudrais cependant modestement aborder cette interrogation, en soulignant notamment les éléments très préliminaires suivants

  • Il existe de  toute évidence en sciences sociales une littérature très considérable sur « l’analyse des systèmes »; cette analyse a subi une sorte d’éclipse, ou au moins de recul relatif, dans les décennies récentes, en raison notamment de la prédominance écrasante des idéologies de marché et des thèses sur « la fin de l’histoire » ; mais la reprise de cet effort est sans doute plus nécessaire que jamais ;
  • La dimension de ce domaine exclut évidemment toute ambition de recherche exhaustive ; mais on peut penser que l’un des premiers efforts nécessaires pourrait être celui d’une identification de quelques thèmes prioritaires, au sens où ces thèmes conditionnent des évolutions majeures pour l’ensemble de notre planète (on peut penser, par exemple, que l’ambition de croissance indéfinie et d’accumulation inégalitaire de la richesse est un thème prioritaire) ;
  • Il faut cependant distinguer ces thèmes majeurs qui sont (ou qui devraient être) communs à l’ensemble de planète, des modalités sur lesquels le pluralisme est indispensable, parce qu’il ne peut être question de promouvoir un mode de vie et une civilisation homogène indifférenciée pour toutes les sociétés humaines ; mais quels sont les principes de civilisation indispensables à la survie de notre monde,  à l’épanouissement des identités des sociétés locales, et à l’organisation de leur coexistence ?

On voit la complexité : ces thèmes procèdent à la fois de l’anthropologie, de la philosophie, de la culture, de la politique, de l’économie, des technologies disponibles, et ainsi de suite… C’est bien pourquoi les visions globales sont si souvent abandonnées : elles paraissent décourager l’analyse et poursuivre des chimères. Mais les phénomènes de globalisation nous imposent la réflexion sur de nouveaux thèmes communs à l’humanité que nous ne pouvons récuser. Lesquels ? Quelles ont les priorités ? Il me paraît inacceptable de rejeter toutes les discussions de ce type sous le prétexte qu’elles seraient subjectives et excessivement difficiles à mettre en œuvre.

Pouvons-nous tenter de préciser quelques conditions pour rendre possible le démarrage d’un tel travail ?

Christian Comeliau


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