Cheminer vers un nouvel ordre international

Les violences déchaînées dans le conflit ukrainien dépassent les commentateurs. À chaque incompréhension (aggravées par la propagande et la censure, elles sont nombreuses), ils se replient en faisant la morale dans un sens ou dans l’autre. Au lieu de répondre à la situation, ils invoquent « leurs » valeurs et principes — ceux qui, dans le passé, leur ont servi — sans pour autant mesurer les effets qu’ils auraient si, dans cette circonstance, on en faisait des absolus.

L’approche par le droit est plus nuancée. Des principes qu’ils imaginent consensuels, les juristes s’efforcent de tirer des conséquences viables et de les rendre plus largement applicables.

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Alfred de Zayas est l’un d’eux. Haut fonctionnaire des Nations unies, il y a été le Secrétaire du Comité des droits de l’Homme de 1981 à 2003. À sa retraite, il est devenu professeur de droit international et d’histoire dans diverses universités et, entre 2012 à 2018, les Nations unies lui ont confié une mission d’expert pour la promotion d’un ordre international démocratique et équitable.

Dans l’entretien suivant, il analyse en juriste la crise d’Ukraine (et quelques autres conflits internationaux), en partant des conditions d’une paix durable entre les peuples telles qu’elles ont été formulées dans la Charte des Nations unies. Cela lui inspire une salutaire remise en ordre des responsabilités mais, comme il l’avoue, aucun des principes qu’il évoque n’est absolu.
La mise en œuvre des droits qu’on en déduit est donc nécessairement négociée.

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Dépassons maintenant le champ de cet entretien…

En fonction de quoi va-t-on négocier ? Des rapports de force !

Nous revoici face à la tentation de la violence, celle que le droit essaie de contenir. L’espace où il se déploie est celui que consentent les puissants, ceux qui ont, gardent ou acquièrent les moyens de s’imposer par la force quand ils le veulent et comme ils le veulent. La violence du monde est en eux, structurelle mais, sauf en temps de crise, cachée. Cette ressource, ils veulent en avoir le monopole, comme « ultima ratio » comme disent les juristes, indices clairs que la rationalité du droit est fondée sur la violence et ne peut s’en libérer.

Mais pourquoi dès lors ceux qui peuvent en user s’en retiennent-ils pour faire place au droit tout en sachant fort bien qu’un jour ou l’autre, il entravera leurs désirs ?

La réponse est d’ordre économique : le rapport qualité-prix de la violence est moindre que celui du consentement conditionné.

Le grand art de la domination est d’attribuer la contrainte aux circonstances.

Quand les dominés la tiennent pour naturelle, ils se voient libres et font de leur mieux pour la dépasser. Si au contraire ils l’attribuent aux dominants, ils se rebellent, sabotent ou fuient.

Les dominants le savent.

Leurs tâtonnements politiques se résument donc à la recherche d’un équilibre, nécessairement mouvant, entre la violence arbitraire dont il se gardent les moyens et le développement de formes de biens réglées par le droit dans l’espace qu’ils concèdent aux libertés.

En Europe après la Deuxième guerre mondiale, la Guerre froide a calmé le jeu des rapports de force même si, partout ailleurs dans le monde, il opérait sauvagement.

25 ans après, de 1989 (chute du mur de Berlin) à 2014 (renversement à Kiev du président Ianoukovitch), en passant par le démantèlement de la Yougoslavie, la sauvagerie s’est installée au cœur même de l’Europe.

La constante avancée des États-Unis et de l’OTAN a ici un rôle désastreux.

Les États-Unis ont-ils complètement oublié les principes fondateurs de leur constitution : structure fédérale avec séparation, équilibre et collaboration des pouvoirs ?

Depuis 1787, on a cessé de les contourner. En politique intérieure, le spectacle est lamentable avec, en politique étrangère, des effets désastreux.

Ces principes étaient sains pourtant et ils pourraient être sont généralisables à l’ordre international.

Si les États-Unis s’en souvenaient, ce serait une réponse vraiment « américaine » aux propositions « alternative » de rénovation des institutions internationales : la russe d’ordre « multipolaire », l’idée de « multilatéralisme » portée par les BRICS et la nécessité d’y inclure le club politique des pays nouvellement émergents.

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