De la France au Sahel et des prétendues forces du bien

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Après sept ans de guerre, l’échec est évident sur tous les plans.
On pouvait le prévoir dès le départ mais, quand la France (l’Assemblée nationale, les élus, nous tous), s’est découverte en guerre, c’était trop tard.
Ce 11 février 2013, notre président l’avait décidé en toute illégalité.
Sur un appel au secours du président malien par intérim, Dioncounda Traoré, François Hollande tranche « en quelques minutes » comme il l’avoue dans ses « Leçons du pouvoir » (Stok 2018, 415 p.) : « Seule une intervention de la France peut arrêter » la colonne djihadiste qui fonce vers Bamako.
Les frappes aériennes ne suffiront pas, il faut des troupes au sol.
Il appelle cela « intervention ». C’est une guerre.

Pour quelles raisons la décide-t-il ?

François Hollande se dit avoir été « bouleversé » par le SOS qu’on lui adresse au nom d’un peuple martyrisé ». Mais la sensiblerie, ce n’est pas ce qu’on demande à un président, ni qu’à ses yeux sous un prétexte humanitaire « la raison d’État pèse peu face à la détresse ».

Qu’a-t-il prétendu faire ?

En cette circonstance, écrit-il (à moins que ce soit Laurent Joffrin qu’il assistera dans la rédaction des « Leçons » en question), « la France a montré qu’elle était capable d’agir sans arrière-pensée, dans le seul but d’assurer la sécurité d’une région et de servir une cause juste ».

La sécurité et la justice ?
Aucun de ces objectifs n’est à portée.
Donc, de façon absurde mais très politique, on continue…
L’opération Barkhane a succédé (2014) à l’opération Serval (2013) comme Emmanuel Macron à François Hollande (2017).

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De mauvaises raisons

En vérité, l’engagement de la France s’est joué sur un concours de mauvaises raisons : impopularité de François Hollande, faiblesse internationale de la France, crainte de perdre pied en Afrique de l’Ouest, frayeur devant les succès djihadistes, grogne militaire… et surtout, chez le président, certitude que l’opinion excuserait son activisme (la preuve en avait été apportée par Sarkozy), pas son inaction, surtout si les colonnes djihadistes parvenaient à Bamako.

En 2013, trois semaines après le début de l’intervention militaire française, François Hollande fut reçu à Tombouctou et Bamako comme un ami et un libérateur.
« Ce fut le plus beau jour de sa vie politique », écrit-il en 2018 dans ses Mémoires.
Il n’en aura pas d’autres et Macron, tout aussi ensablé que lui désormais, non plus.

Sept ans de malheur

Que s’est-il passé ?
Qu’il s’agisse de Hollande ou Macron, il faut ici parler de la peur de ceux qui craignent de ne pas être à la hauteur.

Une fois de plus, on s’est raconté des histoires. Or, la grande histoire que se racontent les puissants, comme de ceux qui aimeraient le devenir, c’est qu’ils rêvent de la faire.

L’issue du conflit n’allait pas de soi pour Bismarck lorsque la Prusse et l’Autriche s’affrontèrent à Sadowa (3 juillet 1866). C’est la raison pour laquelle le Chancelier de fer sécurisa sa victoire par la très modérée paix de Prague (23 août 1866). Pour faire de l’Autriche une alliée, il ne lui imposa pour l’essentiel que l’adhésion à la confédération de l’Allemagne du Nord tout en continuant à reconnaître l’indépendance des États du sud de l’Allemagne.

Un tel succès pourtant inquiétait la France et impatientait son entourage que, à la recherche de l’événement, il s’employait à calmer.

D’où le discours qu’il tint en 1869 au Reischtag de l’Allemagne du Nord :
« Messieurs, nous ne pouvons ignorer le passé ni créer l’avenir. C’est la raison pour laquelle je voudrais vous mettre en garde contre l’erreur qui vous pousserait à avancer les aiguilles de vos horloges pour hâter le passage du temps.  Mon influence sur les événements dont j’ai tiré parti a été exagérée. Nul n’en tirerait argument pour exiger de moi que je fasse l’histoire. Je ne le pourrais pas, même avec vous, bien qu’ensemble, nous soyons capables de résister au monde entier. Nous ne pouvons pas faire l’histoire : nous devons attendre qu’elle se fasse. Nous ne ferons pas mûrir les fruits plus rapidement à la chaleur d’une lampe et, si nous les cueillons avant maturité, nous ne ferons qu’empêcher leur croissance et les gâcher. »

Moins d’un an après, ce fut la crise de succession d’Espagne, la dépêche d’Ems, la guerre de 70…

Nous ne pouvons pas faire l’histoire, attendons plutôt qu’elle se fasse quitte, quand l’occasion se présente, à en tirer parti.

Un livre vient de sortir qui nous explique les errements de la France au Sahel

Celui de Marc-Antoine Pérouse de Montclos : Une guerre perdue (La France au Sahel). Jean-Claude Lattès. 2020. 312 p.

Pour vous mettre en appétit…

  • et feuilletez avec moi les conclusions de l’auteur, particulièrement celles qui portent sur les effets pervers de telles « interventions » militaires.

Extraits des conclusions

Sur la décision initiale

La France est intervenue au Sahel pour maintenir son statut de « grande puissance ».

Le risque terroriste invoqué pour lancer nos interventions a été surévalué.

L’échec politique et militaire de la France au Sahel était programmé d’avance. (p. 301)

Certains imaginaient qu’en s’aggravant encore davantage, le conflit provoquerait un exode massif des Sahéliens vers l’Europe. Pourtant, dans la région, l’essentiel des flux migratoires se dirige vers le sud et la façade atlantique de l’Afrique de l’Ouest. Pour des raisons de proximité géographique, notamment, les Maliens vont plutôt au Sénégal et en Côte d’Ivoire ; les Nigériens ou les Tchadiens, au Nigéria. (p. 305)

Les problèmes de gouvernance, de performance et d’acceptation locale que rencontrent actuellement les troupes étrangères au Sahel se poseraient aussi à des djihadistes soudains venus en masse du monde arabe après avoir quitté l’opulence des pays riches de la rente pétrolière pour aller patauger dans les marigots du lac Tchad ou du delta intérieur du fleuve Niger au Mali. (p. 306)

La guerre à distance est un leurre : elle produit un effet militaire mais n’a pas d’effet politique… Elle détruit sans maîtriser la reconstruction et crée le chaos. Il y a une vraie illusion de l’efficience aérienne. (Conclusions du général Vincent Desportes sur la guerre d’Irak, citées p. 286)

Quelques effets pervers de cette « intervention »

La menace djihadiste s’est criminalisée et diluée dans une multitude de conflits que l’armée française est bien incapable de gérer, à moins de transformer ses soldats en cow-boys chargés d’encadrer la transhumance des troupeaux à travers le Sahel. L’émergence de milices montées sur une base ethnique, villageoise, confessionnelle ou corporatiste est particulièrement inquiétante à cet égard. (p. 284)

Les insurgés savent que l’armée française finira par partir et attendent simplement leur départ pour regagner le terrain perdu. (p. 287)

Dans le centre du Mali, l’armée a cherché à s’appuyer sur les groupements de chasseurs appelés Dozos. Débordée après un assaut djihadiste au cours duquel elle avait perdu une dizaine d’hommes dans le camp de Nampala, elle a de plus en plus recouru à ces supplétifs réputés pour leurs talents de pisteurs et leur connaissance intime du monde de la brousse. Résultat, les insurgés se sont vengés en allant tuer le chef des Dozos en octobre 2016, un assassinat vraisemblablement commandité par les hommes d’Amadou Koufa (djihadiste peul, chef de la Katiba Macina). En retour, les groupes de chasseurs se sont constitués en milices et ont commencé à traquer les éleveurs peuls, tous considérés comme des terroristes en puissance. Les tensions ont finalement débouché sur des massacres intercommunautaires de grande ampleur, compliquant encore davantage la lutte contre le djihadisme. (p. 281)

Les effectifs de ces milices sont généralement bien supérieurs à ceux des groupes qualifiés de djihadistes. Leur démobilisation va donc poser d’immenses problèmes à des États qui n’ont pas les moyens de les intégrer dans des armées déjà défaillantes. (p. 285)

L’intervention de la communauté internationale a contribué à entretenir les violences en exonérant les gouvernements de la zone de leurs responsabilités dans la prolongation des hostilités et en confortant leur refus d’engager des négociations de paix avec les insurgés. Le cercle est vicieux. D’un côté, les autorités ont prétendu qu’il fallait d’abord en finir avec la « vermine » djihadiste pour construire la paix. De l’autre la lutte contre le « terrorisme » a fermé les possibilités de dialogue avec les insurgés et retardé les réformes politiques nécessaires à la stabilisation des pays sahéliens, cela au profit d’une sorte d’« état militaire permanent ». La mise en place d’états d’urgence et de régimes d’exception a justifié le musellement des opposants et entretenu les formes d’autoritarisme qui avaient nourri les révoltes djihadistes. (p. 289)

Au Tchad, les gardes à vue dans les commissariats de police sont passées de 48 heures à 90 jours en 2015, tandis qu’au Niger, un décret de 2016 étendait jusqu’à deux ans la période légale de détention préventive. (p. 290)

Les mesures exceptionnelles des dispositifs antiterroristes ont en fait aggravé l’engorgement des systèmes carcéraux et judiciaires, tout en fragilisant leur capacité à appliquer le droit. (p. 292)

L’absence de protection des témoins, de procès des prévenus et de libération des innocents a évidemment découragé la population locale et dissuader les civils de coopérer avec les autorités. (p. 293)

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