Détruire Mari, d’où nous venons

Retenons des frappes conjointes des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France que ces trois membres permanents du conseil de sécurité de l’ONU continuent de parader dans les ruines syriennes pour y étaler, urbi et orbi, de leur (ir)résolution.
Emmanuel Macron nous l’a expliqué ce dimanche 15 avril  : « Nous étions arrivés à un moment où cette frappe était indispensable pour pouvoir redonner de la crédibilité à la parole de notre communauté » (12’), puis il a précisé sa pensée (12’ 40’’) : « Nous (la France) avons ré-acquis de la crédibilité à l’égard des Russes ».
Le prix de l’opération ? Le maintien des troupes américaines en Syrie. Jusqu’à ce qu’il n’y reste plus pierre sur pierre ?
Et tout cela pour que trois mal élus (Trump, May, Macron) s’essayent à jouer dans la cour des « grands » ?
À qui fera-t-il croire, notre « Emmanuel », que « Dieu est avec nous » et que son but est de « construire une solution durable pour le peuple syrien » (13’) ?

Comme les réfugiés, c’est de Syrie que nous venons

Nous le voyons chaque jour : les réfugiés syriens sont légion. Drames humains, destructions matérielles, régressions culturelles, perversions sociétales, ce n’est que spectacles poignants dont nous aimerions penser qu’ils ne nous touchent que par ricochet.

La Syrie, pourtant, est plus centrale que nous croyons. Elle l’est depuis toujours : culturellement, nous en venons.
Si tant de peuples autour de nous se définissent par leurs origines, réelles ou supposées, alors faisons comme eux, parlons des origines, non pour nous battre ou les exclure : par solidarité.

Or, au plus loin de notre mémoire commune, celle qui rattache la France à la Syrie, il y a Mari, cité majeure de la vallée de l’Euphrate. Voyez le territoire qu’elle contrôlait au milieu du troisième millénaire…

Mari

Mari s’était établie à la fin du quatrième millénaire, en retrait du fleuve. On la protégea des crues par une digue circulaire d’1,9 km de diamètre, fortifiée par la suite, et traversée par un canal de 30 mètres de large qui assurait l’approvisionnement en eau ainsi que l’accès au port sur le fleuve.

Mari

Capitale de royaumes successifs, Mari s’orna de temples et surtout d’un palais considérable (3 ha, 260 salles, 550 pièces de taille diverse), tout un labyrinthe hiérarchisé de cours et bâtiments.

MariMari

L’ensemble fut détruit par les troupes d’Hammourabi en 1759 avant notre ère. Mari ne sera plus dès lors qu’une bourgade sans importance jusqu’à ce qu’on la redécouvre en 1933 sous une colline, le Tell Hariri.

L’œuvre de la France à Mari, et sa destruction

La Syrie d’après-guerre était sous mandat français. L’archéologue André Parrot entreprit d’inventorier le site, œuvre qui, de 1979 à 2004, sera poursuivie par Jean-Claude Margueron, puis prolongée par ses émules, dont Béatrice Muller jusqu’à ce que, en 2010, la guerre empêche toute nouvelle mission.
La Direction des antiquités et des musées (DGAM) de Syrie a récemment diffusé des photos des destructions opérées par Daech sur les sites archéologiques de Deir al-Zour, dont celui de Mari/Tell Hariri.

Ce vandalisme relève plus du banditisme que de l’iconoclasme. Les trous de fouille le montrent, le but était de s’emparer de
trésors
à vendre. Hors de Syrie évidemment et, par une chaîne d’intermédiaires, aux publics
cultivés
qui les prisent.
Avouons-le : les clients finaux de ce trafic, c’était nous.

La haute mémoire d’une part de nos origines

Après avoir été militairement complices de la destruction du pays, nous le sommes donc aussi de la destruction de cette mémoire, la nôtre.
« La civilisation mésopotamienne est l’une des plus anciennes et des plus novatrices de l’histoire. Entre le septième et le quatrième millénaire, elle se rend maître de l’eau et de la terre, développe l’élevage et l’agriculture, invente la céramique, la métallurgie et la roue. Au troisième millénaire, elle accomplit l’une des étapes essentielles de l’humanité : l’invention de l’écriture. Dès lors, elle mène les premières expériences de gestion économique et administrative, élabore les premières lois et les premières formes de littérature. Enfin, elle aménage de nouveaux cadres de vie et donne naissance aux premières cités, comme Mari, dont les découvertes ont renouvelé la connaissance que l’on avait de la Mésopotamie et des premiers pas de l’urbanisme. »

Voilà ce que nous dit l’excellent documentaire de 2006 (mis en ligne en 2013) sur la base de ce qui avait été filmé en 2004, lors de la dernière mission menée par Jean-Claude Margueron. On y voit ce qu’était alors le travail des archéologues et le site de Mari avant les récentes destructions.

Remarquable aussi à Mari, l’un des premiers
tableaux
que l’on connaisse:
La peinture de l’investiture
, une détrempe sur enduit de terre chaulée dont voici successivement une reconstitution et la photo de son état présent.

MariMari

A proximité, se trouvait une autre peinture, dite de
l’ordonnateur de sacrifice
, moins symbolique donc moins riche d’informations mais plus évocatrice…

Mari

Exhumés dans les années 30 par André Parrot, ces décors sont aujourd’hui visibles au Louvre, département des Antiquités orientales, au rez-de-chaussée de l’aile Richelieu, salle 3.

Il y a bien eu à Mari des sépultures royales, mais on les a trouvées vides. Tant pis pour nous et tant pis pour Daech. La richesse attire les voleurs et donc, à chaque trésor antique, de l’antiquité jusqu’à aujourd’hui, est associée une longue suite de voleurs.

MariGrâce à une découverte récente (2000) à Qatna, une capitale contemporaine de Mari, nous avons une idée de ce qui s’y trouvait : sarcophages de bois, bijoux en or pierres précieuse, vaisselle de luxe et, surtout, les éléments nécessaires à la pratique du
kispum
, le banquet rituel qui unit à leurs ancêtres les membres de la famille, une pratique qui a des correspondances dans toutes les cultures jusqu’en Chine.

Mais Mari, c’est surtout les quelques 16.000 tablettes qu’on y a trouvées. Elles retracent la gestion du royaume et ses relations avec les autres puissances de Mésopotamie. Lorsque Hammourabi vainquit Mari, il réunit les tablettes pour les examiner. Elles étaient donc stockées à part quand on incendia le palais.
C’est là qu’on les retrouva 3700 ans plus tard. Elles sont une mine de renseignements sur ce monde mésopotamien qui, de notre rapport au ciel et à la terre, en passant par nos organisations économiques et politiques, sans parler de nos sciences et nos littératures, reste pour notre culture un fondement marquant.

La sauvegarde de Mari

C’est pour cela que, en 1999, avec le Groupe Bazin dont j’étais le directeur général, nous avons soutenu l’entreprise de restauration et conservation que Jean-Claude Margueron avait entreprise à Mari. La cité était en effet menacée par deux processus d’érosion. L’un venait du ciel (le soleil, le vent et les intempéries), l’autre du sol, par la base des murs que ronge le sel.
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La destruction naturelle de Mari et les moyens de conservation mis en place étaient évoqués à la fin (49’ et s.) du documentaire de France 5 cité précédemment.
Protéger Mari, « c’est chose faite depuis 2004. La survie de Mari nous concerne tous », telle était alors la conclusion optimiste de cette partie de l’œuvre archéologique de la France en Syrie.

Épilogue

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Mari n’est plus aujourd’hui qu’éboulis et poussières. Nous en venions.
La Syrie n’est plus que ruines.
Dos à la tour Eiffel, pour que le monde sache qu’il parlait au nom de la France, Emmanuel Macron vient d’annoncer qu’aux sources de notre civilisation la destruction continue. Il est vrai qu’il dit le contraire car il ne voit dans les dernières frappes qu’un « acte de représailles, pas un acte de guerre ».
Hé bien, songeons à ce que seraient chez nous des représailles analogues.

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Tirée d’un jeu vidéo, cette image est là pour nous rappeler que ce n’est « pas de jeu » (démocratique) pour un président que de se cacher derrière la Constitution pour décider de tels gestes dont la seule fonction est de se faire valoir auprès de ses pairs. Ces agressions n’ont rien à voir avec ce que nous désirons.
Il est vrai que nos « démocraties » n’ont jamais été conçues pour nous permettre garder le contrôle de nos gouvernants.

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