Le surréel n’existe que pour les non-surréalistes.

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Desnos, chez moi, une admiration de toujours et, ici, des textes de  référence que, le 17 août 2012 sur le site Notionis, je voulais (je veux  aujourd’hui encore) rendre plus accessibles.
Je les relis avec vous.
Comme lui, « j’ai tant rêvé de toi  » et, comme lui, j’en veux aux mots irresponsables, à l’esbroufe  criminelle, à l’ignorance assumée, à la pose de guichets payants à  l’entrée de communs transformés en parcs d’attraction : « Il n’y a qu’une réalité unique, entière, ouverte à tous ».

Le doux, le généreux, l’immensément inventif et très lucide Robert Desnos aura été l’inoubliable héros du Surréalisme.

Le plus sûr guide aussi, comme le montre la maxime qu’on a mise en titre, extraite de son « Troisième Manifeste du Surréalisme », un texte désolé, blessé, qui avance dans la froideur d’une amitié perdue, mais droit vers l’essentiel : la différence qu’il y a entre recevoir et prendre, ouvrir une porte ou un guichet, s’abandonner à ce qu’il y a d’autre en l’homme ou l’accabler de nouveaux dogmes.

Le chemin de ce « Troisième Manifeste » passe par des querelles oubliées. Que ceux qui hésitent traverser ce marais se souviennent que Robert Desnos, avant de mourir, a su aimer

À la mystérieuse (1926)

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J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant
et de baiser sur cette bouche la naissance
de la voix qui m’est chère ?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre
à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
au contour de ton corps, peut-être.

Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante
et me gouverne depuis des jours et des années
je deviendrais une ombre sans doute.
Ô balances sentimentales !

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie
et de l’amour et toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi,
je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu’il ne me reste plus peut-être, et pourtant,
qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois
que l’ombre qui se promène et se promènera allègrement
sur le cadran solaire de ta vie.


Troisième Manifeste du Surréalisme (Robert Desnos, 1930)

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M. André Breton ayant appelé Second Manifeste du Surréalisme un recueil de ragots et de calomnies, je veux bien aujourd’hui, à la demande du Courrier littéraire, faire une mise au point qui s’impose.

Après cinq années d’une amitié totale suivies de trois années de silence, j’ai dû, en collaborant à Un cadavre, révéler tout le mépris dans lequel je tenais André Breton. Ce n’est pas sans effort que j’en suis arrivé là, sans essai de me tromper moi-même. Ainsi en va-t-il pour ces vieilles maîtresses dont la puissance tient plus à l’habitude qu’à l’amour qu’elles inspirent. André Breton n’ayant pas su garder le prudent silence que ses actions conseillaient, je me vois aujourd’hui dans l’obligation de révéler les raisons de cette rupture.

J’ai confié, fort de son amitié, un secret à André Breton. Ce secret, il l’a trahi. Cette trahison, il m’a donné sa parole d’honneur qu’il en ignorait l’auteur, puis, plusieurs mois après, il m’a tout avoué, et m’a demandé pardon.

Là où l’estime et la confiance n’existent plus, il ne saurait être question d’amitié. Prises une à une, les fautes de cet homme de lettres paraîtraient vénielles. Elles seraient même négligeables si Breton avouait une fois pour toutes qu’il n’est qu’un « homme de plumes ». On comprendra mieux que leur somme soit une raison de séparation et une preuve de sa mauvaise foi.

André Breton a accusé Philippe Soupault d’un certain nombre de vilenies. Il posait la question de confiance, tout comme Poincaré ou Tardieu, quand on lui demandait des preuves et, cependant, l’an dernier, il avouait à Prévert que rien ne l’autorisait à accuser Soupault de quoi que ce soit.

Même cas exactement pour Roger Vitrac, accusé d’on ne sait quelle machination, sans preuve, sans raison. Avec la plus parfaite mauvaise foi.

J’entends et vois encore Breton me disant : « Cher ami, pourquoi faites-vous du journalisme ? C’est idiot. Faites comme moi, épousez une femme riche ! C’est facile à trouver. »

André Breton déteste Éluard et sa poésie. J’ai vu Breton jeter au feu les livres d’Éluard. Il est vrai que ce jour-là le poète de L’Amour, la Poésie avait refusé de lui prêter 10.000 francs… si Breton ne lui signait pas des traites en échange. Pourquoi reste-t-il son ami et pourquoi écrit-il les louanges de son œuvre ? Parce que Paul Éluard, tout communiste qu’il se dit, est lotisseur, et que l’argent des marécages vendus aux ouvriers est utilisé à acheter tableaux et objets nègres dont tous les deux font commerce.

André Breton déteste Aragon sur lequel il conte et raconte des infamies. Pourquoi le ménage-t-il ? Parce qu’il en a peu et qu’il sait bien qu’une rupture avec lui serait le signal de sa perte.

André Breton s’est fâché jadis avec Tristan Tzara pour la raison très précise qu’à la représentation du Cœur à barbe le chef du Dadaïsme nous avait fait arrêter. Il le sait. Il 1’a vu et entendu aussi bien que moi nous désigner aux agents. Pourquoi se réconcilie-t-il ? Parce que Tristan Tzara achète des fétiches nègres et des tableaux et qu’André Breton en vend.

Dans un article sur la peinture, André Breton reproche à Joan Miró d’avoir rencontré l’argent sur son chemin. C’est pourtant lui, André Breton, qui, ayant acheté le tableau Terres labourées cinq cents francs, le revendit six ou huit mille francs. C’est Miro qui a rencontré l’argent, mais c’est Breton qui l’a mis dans sa poche.

Sérieux comme un pape, digne comme un mage, pur comme Éliacin, André Breton écrivit Le Surréalisme et la peinture. Il est tout de même curieux de constater que les seuls peintres dont il dise du bien sans restrictions soient ceux avec lesquels il lui est possible de faire des affaires.

En décembre 1926, alors que nous discutions de l’adhésion ou de la non-adhésion au parti communiste, André Breton tentait de me faire passer pour un lâche, parce que, au lieu de réaliser des bénéfices sur les œuvres des peintres, je faisais les chiens écrasés dans un journal. Il exigeait l’engagement de tous de ne pas collaborer aux revues bourgeoises. Six semaines après, il remettait à la revue Commerce un texte de lui « parce que, disait-il, ça paye bien ». De même lui, qui reproche si légèrement à Man Ray ses relations avec le vicomte de Noailles, caressait, l’an dernier, l’espoir de faire payer La Révolution surréaliste par celui-ci. Mais ceci dit, Breton prétendra toujours qu’André Masson est un vendu parce qu’il a laissé publier un texte de Limbour sur son œuvre dans la revue allemande Querschnitt.

Il convient de n’envisager dans cette contradiction qu’une rivalité d’affaires entre marchands de tableaux.

Je ne verrais, pour ma part, aucun inconvénient à ce que Breton « gagne sa vie » de cette façon ou d’une autre s’il voulait bien reconnaître que l’argent joue dans son existence un rôle au moins aussi important que dans celle d’autrui et s’il n’avait pas toujours à la bouche et à la plume le mot calotin de « pureté ». S’il était pur, passe encore. Il y a des originaux et des vicieux qui ont du goût pour cette chose immonde qui s’appelle un pucelage. Or, entre pucelage et pureté, il y a la différence de cul à chemise.

Mais Breton, avant tout, est un homme de lettres. Il n’a jamais rien créé. Toute son activité est basée sur la critique littéraire ou artistique, ce qui me paraît le comble de la littérature. Pourquoi faut-il qu’il veuille passer pour un chef de moralité, un exemple de vie ? Parce qu’à une telle attitude sont attachés des avantages matériels.

Breton faisant des bénéfices sur le surréalisme n’est pas différent du Pape percevant, à son profit, le denier de Saint-Pierre.

Je pourrais continuer à l’infini le récit de ces incidents qui, joints à de graves défauts de caractère (insultes à l’adresse des maîtresses de ses amis, goût de l’autorité poussé jusqu’au choix des apéritifs et autres actions burlesques), finissent non seulement par lasser, mais encore par rendre odieux un personnage.

En définitive, Breton est méprisable parce que sa vie et ses actions ne sont pas en rapport avec les idées qu’il prétend défendre; parce qu’il est hypocrite, lâche, affairiste (cf. lettres aux critiques pour qu’on parle de ses livres) et que son activité s’est toujours développée dans un sens contraire à la vie, à l’homme et à la vérité.

J’en finis donc avec ces histoires de couloirs pour lesquelles le bonhomme a plus de goût que moi (ses livres en sont pleins), mais je pourrais en conter des douzaines. Sa piètre réponse au « Cadavre » en dit long d’ailleurs sur son désarroi quand on lui parle sur le ton positif.

Que prouve le fait que j’ai écrit en 1923 les louanges de Breton et que je l’insulte en 1930, sinon que j’ai changé d’avis ? Pour ma part, j’estime que j’ai aimé un porc. Je n’ai d’ailleurs pas besoin de ressortir des écrits confidentiels pour qu’on me comprenne. Si on relit Les Pas perdus, Nadja, le Premier Manifeste, Clair de terre, etc., on verra ce que Breton pensait de moi avant le passage de mauvaise foi qui m’est consacré dans le Second Manifeste. Que m’importe qu’il dise que mes alexandrins sont faux, chevillés et creux ? C’est là une querelle de cuistre. Que m’importe qu’il dise que je me prends pour Victor Hugo et Robespierre ? Je pense qu’il est à court d’injures. Et cela vaut mieux en tout cas que de se prendre pour le pape (cf. préface à Satan à Paris, par Gegenbach, et Second Manifeste du Surréalisme).

Mais où je prends mon Breton la main dans son sac à malice, c’est quand il m’accuse d’avoir fait, au cours de mon article Les Mercenaires de l’opinion, l’apologie de Clemenceau. Le mensonge est là si flagrant qu’il suffit de lire l’article incriminé (revue Bifur, n° 2, page 165). Que ne dit- il aussi, pendant qu’il y est, que je suis pédéraste, opiomane et franc-maçon ?

Il y aurait beaucoup à dire sur le puritanisme, le protestantisme de Breton. Ne condamne-t-il pas l’usage de l’alcool ? Oui, mais il boit et l’on expliquerait assez bien son caractère par l’action de la cirrhose de son foie sur sa pensée. Encore une fois nous retrouvons en lui le hideux conformisme religieux.

Mais là ne se trouve pas circonscrit le différend. Je ne partage pas les idées de Breton, ce prêtre qui ne rit pas, qui ne sait pas ce que c’est que rire quand l’envie le dévore. Incapable de faire du théâtre, il le condamne en bloc. Bourgeois plus que personne, il a le mot de Révolution à la bouche non parce qu’il lui vient du cœur, mais parce que le morceau est trop dur à avaler pour son faible gosier, que son estomac fragile le vomit. Breton est le type du personnage qui vit sur l’idée de révolution et non sur l’acte. Aux premiers troubles, il partira à Coblence.

Voici donc ce poète impuissant, ce critique, cet escroc des idées (et je vous prie de croire qu’il sait tromper son monde), ce sophiste, en présence de Lautréamont.

Ah ! je vous prie de croire qu’il ne perd pas le nord. Une phrase, une seule proposition de Lautréamont l’a frappé : le droit de se contredire, et je vous garantis qu’il s’en est servi.

Ce droit humain et légitime s’est transformé chez lui en droit à l’hypocrisie, à la restriction mentale. Jésuite ! De là à exploiter le surréel, à oser dire qu’il existe, il n’y a que le pas du mensonge à l’abus de confiance.

Moi qui ai quelque droit à parler de surréalisme, je le déclare ici, le surréel n’existe que pour les non-surréalistes.
Pour les surréalistes, il n’y a qu’une réalité unique, entière, ouverte à tous.

Breton ne serait-il pas l’être suspect que je viens de dénoncer que ses idées mêmes suffiraient à le faire condamner. Croire au surréel, c’est repaver le chemin de Dieu. Le surréalisme tel qu’il est formulé par Breton est un des plus graves dangers que l’on puisse faire courir à la libre pensée, le piège le plus sournois où l’on puisse faire tomber l’athéisme, le meilleur auxiliaire d’une renaissance du catholicisme et du cléricalisme.

Et je proclame ici André Breton tonsuré de ma main, déposé dans son monastère littéraire, sa chapelle désaffectée, et le surréalisme tombé dans le domaine public, à la disposition des hérésiarques, des schismatiques et des athées.

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