Les Amis de la Paix 5 – Le libre-échange

Le Congrès des Amis de la Paix Universelle qui se tint à Paris en 1849 fit naturellement la part belle à l’idée de libre-échange. Ne contribuait-elle pas directement à l’amitié entre les peuples ? surtout quand cela se fait avec l’Angleterre, nation commerçante s’il en est.
Richard Cobden (1804-1865), industriel et homme d’État britannique, en est cette année-là le héraut, avec Fédéric Bastiat (1801-1850) qui passe alors pour l’un de ses émules.
Il est vrai que l’admirable Cobden venait d’obtenir l’abolition des Corn Laws protectionnistes et qu’il oeuvrait au rapprochement avec la France. L’Angleterre était aussi industrieuse que la France agricole. Ces deux nations étaient donc complémentaires, ce qu’on voyait d’autant mieux que, dans les deux pays, la bourgeoisie d’affaires supplantait peu à peu l’aristocratie terrienne.
L’anglophile Louis-Napoléon Bonaparte comprenait cela, d’où la signature en 1860 du traité de commerce franco-britannique de libre-échange sur les matières premières et les principaux produits alimentaires, dont Cobden avait été si longtemps l’artisan.

Ne nous trompons pas cependant sur la principale motivation de
Napoléon le Petit
.
L’Angleterre avec laquelle il voulait la paix était celle qui avait abattu son oncle. Cette menace écartée, il se trouverait nanti d’une alliance de revers à l’Ouest qui, à l’Est, lui laisserait les mains libres.
Matérialisé par le traité franco-britannique de 1860, le
doux commerce
dont Cobden rêvait avait été permis par la coalition de l’Empire français et du Royaume Uni pendant la Guerre de Crimée (1853-1856).
Quant à la sécurité que Napoléon III y trouva, elle le rendit suffisamment confiant pour accepter de Bismarck qu’il le pousse à la faute.
Paraphrasons Clausewitz : le libre échange est l’un des prolongements de la guerre mais par d’autres moyens.

Précédentes livraisons
La nouvelle Marianne 
Les Amis de la Paix - Le congrès de Paris en 1849
Les Amis de la Paix 2 - L'arbitrage international
Les Amis de la Paix 3 - Désarmer pour FAIRE la paix
Les Amis de la Paix 4 - L'idéalisme

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Richard Cobden – Je me joins de tout mon cœur au vœu exprimé par un des précédents orateurs en faveur d’une langue universelle; cependant je ne puis me défendre d’une crainte. Ne s’élèvera-t-il pas une terrible dispute, même parmi les amis de la paix, sur la question de savoir lequel prévaudra des mille dialectes qui se partagent te monde, et des océans d’encre ne seront-ils pas répandus avant que cette question préalable soit décidée?

En attendant, laissons donc chacun jouir paisiblement de sa syntaxe et de son dictionnaire. Sous cette réserve, et me rappelant que je suis dans la capitale de la France, je m’en remets entièrement à l’urbanité traditionnelle d’un auditoire parisien, et je hasarde à lui adresser quelques mots en français boiteux, plutôt que de me rendre coupable, même en matière de langage, d’un acte d’intervention étrangère.

Après tout ce qui a été dit, et si bien dit, par les éloquents orateurs qui ont parlé avant moi, je ne crois pas devoir rien ajouter aux considérations générales qui vous ont été présentées. Mais je désire appeler votre attention sur la manière dont les forces militaires ont été accrues par les gouvernements de France et d’Angleterre, dans un triste sentiment de rivalité et de défiance.

Je ne parle ici que de ce qui concerne nos marines respectives et la défense de nos côtes, car nous ne prétendons nullement vous égaler en ce qui touche l’armée de terre. Ne prenez pas l’alarme, monsieur le président, je n’enfreindrai pas cette sage disposition du règlement du Congrès qui interdit toute allusion à la politique du jour.

Malheureusement, mes récriminations remontent à bien des années en arrière, impliquent plusieurs ministères, dans les deux pays, et les gouvernements actuels doivent être ici exonérés de toute responsabilité en ces matières.

Pendant les treize dernières années, nous n’avons cessé, des deux côtés du détroit, d’accroître notre marine, d’ajouter à la défense de nos côtes, de creuser de nouveaux bassins de construction, et de nouveaux ports de refuge. La quille d’un vaisseau de ligne n’a pas été plutôt posée à Brest que le marteau commence à résonner à Portsmouth.
Une nouvelle forge ne souffle pas à Cherbourg qu’aussitôt l’étincelle ne jaillisse d’une nouvelle enclume à Plymouth, et réciproquement. La conséquence a été que la dépense de nos marines s’est accrue de 50% en temps de paix.

Ma première objection à ce système est sa suprême folie. Car, lorsque les deux pays augmentent dans la même proportion leurs forces navales, ni l’un ni l’autre ne gagne au changement, et le résultat est une perte sèche égale au montant de l’accroissement.

Ma seconde objection s’adresse à son extrême hypocrisie ! Car en même temps que ces armements grossissaient d’année en année sous nos yeux, nos cabinets respectifs ne cessaient d’échanger les assurances de la plus franche et cordiale amitié.

S’il y avait quelque sincérité et quelque vérité au fond de ces démonstrations, où donc était la nécessité de tant de vaisseaux en mer et de tant de forts sur nos côtes ? Un homme, à moins d’être fou, ne se revêt pas d’armes offensives et défensives an milieu de ses amis.

Mais ma plus grande objection contre ces grands armements, c’est qu’ils tendent à exciter de dangereuses animosités entre les peuples, à perpétuer la crainte, la haine, le soupçon, passions qui, un jour ou J’autre, cherchent instinctivement leur satisfaction dans la guerre.

Et c’est là le motif pour lequel le Congrès désire, dans les termes de la motion qui nous est soumise, amener les nations à un système de désarmement simultané.

Et maintenant, comment atteindrons-nous ce résultat ? Il y a un moyen, c’est d’enseigner à nos gouvernements respectifs ce petit problème arithmétique que, dans les temps passés du moins, ils semblent toujours avoir ignoré, à savoir, que si deux nations, en temps de paix, ont un armement donné, comme, par exemple, six, elles ne seraient pas relativement moins fortes, en réduisant de part et d’autre cet armement à trois, ou même en désarmant complètemcnt.

Mais nous, contribuables de France ou d’Angleterre, nous reconnaîtrions au poids de nos poches qu’il y a une immense différence.

Ne nous laissons cependant pas aller à l’illusion de croire que nous enseignerons facilement cette petite leçon d’arithmétique à nos gouvernements.

Je parle d’après une longue expérience, quand je dis qu’il n’y a pas d’hommes plus durs à apprendre que les hommes d’Etat de profession. Ils sont en général si dominés par la routine et si pleins de leur propre mérite, qu’ils comprennent à grand’peine qu’aucune sagesse puisse exister, si ce n’est celle qui rayonne de leurs bureaux. Croyez-vous qu’ils prendront en grande considération les avis émanés de ce Congrès? Oh ! bien au contraire, et, en ce moment même, j’en suis sûr, ils se rient de nous, nous traitent d’utopistes, de théoriciens et de rêveurs.

Et pourtant, il y a dans les résultats de leurs systèmes, au point de vue financier, de quoi les rendre plus modestes. Je m’adresse aux gouvernements de l’Europe, et je leur demande : pouvez-vous continuer votre système financier pendant dix ans encore ? Tous, peut-être à une exception près, doivent répondre : Non. Donc, est-ce une chose si utopique de la part de ce Congrès d’attirer leur attention sur ce gouffre qui, de leur aveu, est béant devant eux ; de les avertir que le danger d’un désastre financier qu’ils perdent de vue, est plus imminent que celui d’une invasion extérieure, contre laquelle ils se pourvoient avec tant de diligence ?

Ainsi, même à ce point de vue financier, le moins élevé de tous ceux qu’on peut faire valoir, vous êtes justifiés aux yeux du monde pour avoir fondé ce Congrès des nations. Certes, il était temps que l’opinion publique intervint, et les hommes qui, dans ces temps difficiles, sont chargés du gouvernement des nations, devraient sincèrement vous remercier de ce que, en vous donnant la main par-dessus l’Atlantique et la Manche, vous avez facilité un désarmement également exigé par tous les principes d’humanité et de politique intelligente. »

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