Oppenheimer, Barbie et les industries culturelles

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Comme le note Anne Guerry (Figaro), le scénario de Barbie « coche toutes les cases ».
C’est également le cas de l’Oppenheimer [1] de Christopher Nolan.

[1] À ceux qui s’intéressent à l’homme – outre les lectures qui en cette saison ne manquent pas, on doit recommander ce bref entretien qu’il a donné en 1958 à Pierre Desgraupes (en français), ainsi que les compléments apportés par Louis Leprince-Ringuet dont l’amitié lui avait valu d’être décoré de la Légion d’honneur.
À cette époque, Robert Oppenheimer est politiquement et scientifiquement marginalisé. Il médite sur la « science » en général et la « science atomique » en particulier, sans pour autant désavouer ce que, avec tant d’autres, il a fait…

[2] Pour un pays réellement pacifique, comme la France prétend l’être, c’est un « parapluie » mais, pour des pays au bord de la paranoïa (la liste comporte tous les détenteurs de « la bombe », dont la France) parce que, à tort ou à raison, ils se pensent en danger, c’est un « alibi » : « la raison d’État », confortée par le jeu des équilibres diplomatiques, les autorise à mobiliser et mettre en œuvre tous les autres moyens, des plus déloyaux aux plus inhumains.

C’est là que, faisant le parallèle avec le scénario de Barbie, j’ai pensé (d’autres films avant m’avaient fait cet effet) que, lui aussi, « cochait toutes les cases » : il ne prend pas parti pour une thèse, il les présente toutes.

Neutraliser tout risque de rejet en cochant toutes les cases

J’ai assez débattu de films pour savoir d’avance l’effet de telles stratégies narratives…


Si dans un ciné-club, un spectateur se prononce contre l’affirmation d’un autre, l’animateur, au service de la projection et parfois du film, peut alors lui démontrer que le réalisateur a prévu cette critique :
« Souvenez-vous de la séquence de (lieu), lorsque Y (protagoniste) avoue que… et voyez à la fin ce qu’il arrive à Z (antagoniste)… ».
En effet », convient l’emmerdeur ainsi mouché.
Il ne l’avait pas vu.

Aujourd’hui, le succès mondial d’un film grand public, destiné à une diffusion sur les écrans de toutes les sous-cultures, se doit de tout dire et tout prendre en compte, ce qui a pour effet qu’il ne dit rien et ne soutient aucune cause.
Il a seulement des mots de sympathie pour toutes les idées et toutes les situations.

L’œuvre se neutralise avec la complicité de l’auteur et sous la férule de ses promoteurs : quelles qu’aient été les intentions de départ, ils ne veulent plus rien d’autre qu’élargir son public et passer les frontières.

Les industries culturelles

Il en est du cinéma de masse comme il en est du tourisme de masse.
Corps bigarrés et tenues hétéroclites s’assemblent au Louvre devant La Joconde, tableau si célébré qu’il en devient unique (célèbre parce que célèbre, comme n’importe quelle vedette de la télé-réalité) à mesure de la masse des spectateurs indistincts qui passent devant lui.

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Bref, Barbie et Oppenheimer sont des manifestations avancées de l’« industrie culturelle » d’aujourd’hui, constat qui nous ramène à l’admirable méditation d’Horkheimer et Adorno : « La dialectique de la Raison » qui, dans sa version allemande, était sortie en 1944.

Méditant sur le cours des violences, je ne cesse de trouver à celles d’aujourd’hui des précédents et des prédécesseurs à chaque étape de l’histoire.
Pour l’avant, pendant et l’après Deuxième guerre mondiale, j’ai eu récemment la surprise d’apprendre d’Augustin Berque [3] qu’un marxisant japonais, Hiromatsu Wataru, intervint en 1942 à Tokyo de façon critique sur « Le discours du ‘dépassement de la modernité’ » qui était l’objet même du colloque.
Penseurs allemands et japonais étaient contemporains.

[3] Berque (Augustin). Recouvrance. Retour à la terre et cosmicité en Asie orientale ‎(Eoliennes 2022, 520 p. § 62. Le « dépassement de la modernité » (pp. 368-378).

Toujours en chemin… mon ignorance !

Rien d’étonnant, sauf mon ignorance, fort explicable mais qui ne cesse de me surprendre 
Cette ignorance est en chemin : quand je découvre ou redécouvre des textes que j’aurais aimé écrire, j’apprends vite que, s’ils ont anciens, ils ont été recouverts par des reprises et variantes introduites par des successeurs et traducteurs qui souvent les dénaturent.
C’est l’effet des « séries » philosophiques (en philo, on dit « doctrines » ou « écoles » – « l’école de Francfort » par exemple).
Comme on le voit dans les séries télé et les franchises pour blockbusters sur grand écran, elles faussent l’idée initiale et l’émoussent pour mieux l’insérer dans le monde comme il va.

Départements marginaux des industries culturelles, philosophie et sociologie opèrent de même.

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