Plutôt que Mao, juger nos idéaux

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L’histoire ne repasse pas les plats, c’est une affaire entendue mais je saisis l’occasion d’un documentaire sur LCP intitulé :

Chine : à quand le jugement de Mao ?

pour faire le point sur ce que je crois savoir de l’aventure maoïste, m’en rappeler la chronologie et me demander ce que j’en pense.

Commentaires sur l’émission elle-même

Le documentaire est clair, raisonnablement court (environ une heure). Il inclut des témoignages et des images que je ne connaissais pas (en cela, ils m’ont intéressé), sur un sujet sur lequel j’ai par ailleurs (mais par le biais d’assez grosses lectures) accumulé pas mal d’informations.

La partie débat de l’émission elle-même a peu d’intérêt : elle ne sort pas de la question posée.

  1. Étant admis que Mao est condamnable (c’est l’a priori choisi), combien de millions de morts peut-on ou doit-on lui attribuer ? Réponse : on ne sait pas exactement. Commentaire personnel : qu’est-ce que ça change ?
  2.  Pourquoi les dirigeants chinois restent-ils évasifs sur les crimes attribués à Mao ? Réponse : l’exercice est délicat. Commentaire personnel : question naïve.
  3. N’y a-t-il pas d’autres explications possibles à ces millions de morts ? Réponse : oui bien sûr, mais ce n’est pas le sujet de l’émission.

Chronologie grossière

(simples notes prises en visionnant le documentaire)

La Chine est sujette de longue date à des famines endémiques, jusqu’en 1949, date de la prise de pouvoir par Mao.

Sous l’égide de l’Union soviétique, il lance une réforme agraire autoritaire. La situation des paysans s’améliore dans la période 50-52.

Pour éviter la reconstitution d’une classe de petits propriétaires, Mao commence des collectivisations agricoles.

La mort de Staline en mars 1953 entraîne en février 1956 la déstalinisation par Khrouchtchev. Elle s’accompagne de la critique des désastreuses campagnes de collectivisation en URSS et, par contrecoup, en Chine.

Ce modèle ayant été mis en place par Mao, celui-ci est mis en minorité dans le Parti. Il se retourne alors vers les masses et les invite à critiquer le pouvoir (campagne des Cent Fleurs).

En 1957, Mao dénonce ses opposants comme ennemis de classe. On élimine environ 1 million de personnes.

La terreur touche la Chine entière pendant la période 57-58. Les « droitistes » sont éliminés. Ayant repris le pouvoir et soucieux de convaincre, Mao fait un pas de plus et donne l’impulsion de ce qui deviendra le « grand bond en avant ». A cette époque, Khrouchtchev annonce que la Russie va dépasser les États-Unis en 15 ans, Mao Tsé Toung lui réplique que la Chine fera de même par rapport à la Grande-Bretagne.

100 millions de paysans sont mobilisés. Les récoltes sont insuffisantes. Il faut faire mieux. Mao lance alors des campagnes qu’on dirait aujourd’hui « écologiques » délirantes, contre les moineaux puis contre les insectes. Mais son analyse reste fondamentalement politique. Il lance alors les « communes populaires ».

La vie collective est orientée vers la production. Mentalité de caserne pour tous (les deux sexes et tous les âges). Ce système autoritaire est dirigé par des exécutants sûrs, sans considération de leur compétence. Ils sont eux-mêmes insécures comme toute la population, à ceci près qu’ils tirent de leur position des avantages relatifs.

La compétition est lancée entre les communes pour réaliser des records (« lancer des satellites »). Les résultats sont falsifiés. Du coup, les prélèvements de l’État sont disproportionnés, d’autant que la Chine doit rembourser Moscou avec des produits agricoles. La famine s’étend, les cadres deviennent des tyrans locaux.

Printemps 59, Mao lance la campagne des petits hauts-fourneaux pour assurer la production d’acier en détruisant tout l’environnement (les arbres notamment). Clairement informé de la famine, Mao a un raisonnement stratégique (25 mars 1959) : les famines, la Chine en a une longue expérience, elles obligent à choisir qui doit survivre. Se pliant à la nécessité, il décide de sacrifier les campagnes (les paysans affamés ne peuvent se révolter) pour sauver les villes, les centres industriels et le réseau institutionnel.

Alors que le régime prétend servir le peuple, l’on n’ouvre pas les greniers à grain. Les régions où la famine sévit sont bouclées, les paysans qui tentent de fuir les campagnes sont renvoyés chez eux. En 1959, lors de la célébration des 10 ans du maoïsme, Khrouchtchev adjure son hôte de ne pas répéter les erreurs de Staline, Mao s’obstine. Il veut réaliser la construction du socialisme avant l’URSS et ordonne d’augmenter les objectifs de production. Khrouchtchev rompt peu après avec la Chine.

Liu Shaoqi devient président en avril 1959. Les mécanismes de la tragédie ? Les politiques trop volontaristes, le comportement prédateur de l’encadrement, les gaspillages des cantines, l’épuisement des corps.

En 1962, Liu Shaoqi critique la politique menée, donc Mao. Celui-ci lance alors la révolution culturelle « contre les bureaucrates du Parti » (1966-1976). Liu Shaoqi est mis à l’écart, puis en prison où il meurt en 1969.

Mao meurt en septembre 1976.

L’Occident s’est illusionné sur la situation réelle. De retour de Chine, en 1961, François Mitterrand décrit Mao comme un humaniste. Ni la droite (Alain Peyrefitte), ni la gauche ou l’extrême gauche en France ne prennent la mesure, ne voient, ne peuvent ou ne veulent voir ce qui se passe en Chine.

Que dire sur les responsabilités ?

Mao, en tant que conducteur du projet, d’un bout à l’autre, doit en être dit responsable.
On peut ensuite accuser le système communiste…
Je trouve ces accusations simplistes. À la rigueur, je les admets pourvu qu’on accuse de la même manière l’Occident.

Je n’ai que faire de son manque de solidarité avec les misères de la « grande Chine » et des « petits Chinois ». Chrétiennes ou militantes, les générosités que cela nous a inspiré ont été insignifiantes, voire ridicules.

Coupables en revanche sont certainement les pays qui n’ont cessé de chercher à déstabiliser ou dépecer la Chine. On ne peut, ici aussi, que constater, et rester assez lucides pour ne pas s’associer aux effets de manches et aux discours de propagande.

De 1949 à 1976 et dans un contexte de grandes tensions internationales, la « Chine de Mao » s’est voulue ancrée sur un vaste territoire présenté comme immémorial, celui de « l’empire du milieu », et animée par la mise en œuvre d’un projet socio-politique « à la chinoise ». Telle est « l’essentiel » qu’elle s’est efforcée de maintenir et promouvoir, fut-ce à tout prix.

Quitte à évoluer avec Xi Jinping, c’est ce qu’elle tente encore de prolonger.

Nous ne sommes ici que dans le registre du constat et de la compréhension.

Les informations collectées ici peuvent contribuer au dialogue avec la Chine ou l’envenimer, rien de plus.

Ceux qui ne se satisfont pas de cet état des lieux n’ont pas de leçons de morale à donner aux Chinois et à la Chine mais, puisque celle-ci, quoi qu’on en pense, résulte de processus collectif dont nous sommes coresponsables, ils peuvent, nous pouvons, nous devons profiter de cet examen pour nous interroger sur les systèmes de pensée, les « idéaux » qui ont soutenu et soutiennent encore toutes ces aberrations, celle de la Chine et les nôtres, en somme sur « nos idéaux », ces idées et réactions partagées qui nous font humains… autant que les Chinois !

Accusons donc plutôt ces « idéaux », les idées dont, collectivement, nous restons prisonniers

Deux erreurs dont nous restons prisonniers

La première est de croire que l’on sait ce qui ne va pas et que, puisque l’on sait, il suffit de s’y mettre…

Une telle croyance légitime apparemment…

  • l’espoir d’accéder à une forme de « rationalité absolue »,
  • l’hypothèse que, à raison de cet accès à une information « parfaite », on peut décider les priorités qui en résultent (alors que celles-ci s’imposent à chaque instant suivant les circonstances que, faute de tout savoir, on découvre),
  • et la conviction qu’il y a urgence à mettre en œuvre de façon volontariste et autoritaire les plans d’actions qui s’en déduisent.

La seconde erreur est d’accepter comme allant de soi que ces « priorités » se fédèrent autour d’une problématique conflictuelle, sans réaliser que cette dernière se ramène à l’adoption de la survie comme priorité suprême.

Or, la force et la violence des réactions que cela déclenche distraient de toute interrogation plus profonde : la survie de qui ?

La question peut surprendre (tous les vivants ont peur de la mort) mais, à l’évidence, la survie de soi-même (au détriment de qui ou de quoi ?) n’est pas un absolu. Chacun, face à la mort, décide librement de la fuir ou de l’accepter, souvent avec de bonnes raisons .

Quant à la survie d’ensembles identitaires — ceux qui nous paraissent créateurs d’« identités collectives » (familles, groupes ethniques, religions, engagements sociaux ou politiques, nations) — elle pose des questions du même ordre et, de proche en proche, interroge les formes de coexistence sous-jacentes :  au détriment de qui ou de quoi se ferait leur survie ?

En outre, tout collectif est complexe par définition. Cette complexité rejaillit dans ses relations avec son environnement. Il en résulte que certains ensembles identitaires ne sont pas en conflit existentiel avec leurs homologues. Des complémentarités sont possibles. Des compromis sont alors envisageables mais il faut parfois (entre concurrents par exemple) aller plus loin et chercher une entente ou un évitement autour d’un « dépassement » créatif.

De telles erreurs sont à l’œuvre un peu partout, aux États-Unis notamment (puisqu’ils se définissent de plus en plus par rapport à la Chine), mais aussi dans le débat public en France à la veille des élections présidentielles de 2022.

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