Que penser de Michel Houellebecq ?

Il a un épatant succès que ses livres n’éclairent guère.
On en découvre certains aspects dans l’émission Stupéfiant ! que France 2 lui a consacrée le 4 mars. Elle est disponible en « replay » et sur YouTube en trois séquences :
La politique et Houellebecq
Le style de Houellebecq
Les femmes et Houellebecq

Le terrain est à peu près couvert mais c’est un terrain vague, assez plat et mal entretenu.

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Houellebecq est l’écrivain déprimé de l’abjection et de l’ennui, un déglingué à la Céline mais en deçà de la colère, donc sans lyrisme, un mince Flaubert des faubourgs qui se distingue du géant malade en ce qu’il publie sa triste impuissance avec les mots crus que l’autre réservait à sa correspondance :
« La littérature n’est plus pour moi qu’un terrible godemiché qui m’encule et ne me fait même pas jouir. »
L’ennui, matière fécale du romancier, ennui profond.

Ennui de vivre que l’écriture s’attache à signifier.

Pour Madame Bovary, Flaubert voulait que cette écriture ait la « couleur de moisissure d’existence de cloportes ».

Houellebecq se met en scène lui aussi mais, au lieu de se déguiser en femme, il donne l’affligeant spectacle d’un alcoolo-tabagisme suicidaire à peine relevé du côté slip par quelques fellations.

Timide, il n’éructe pas comme Bukowski. Son truc serait plutôt de se cacher dans la banalité mais, s’il s’y tenait, cela condamnerait les attachées de presse au mutisme. Il varie donc le décor d’un livre à l’autre dont il épice le ragoût de morceaux réactionnaires et d’instants pornos allégés d’ironie.

Flaubert vendait peu et Houellebecq beaucoup, mais ce n’est pas lui qui vend. Il n’est que le produit et le produit n’est « pas intéressant », comme il le dit lui-même. Ce qui l’est, c’est le phénomène social (et financiaro-médiatico-culturel) qui s’est mis en branle à son propos et que, rusé, puisque cela repousse un peu la fin, il entretient.

Ce qu’on appelle aujourd’hui Houellebecq, ce n’est certainement pas le mince malade dont nous savons l’image, c’est la transposition « réussie » dans l’espace littéraire des stratégies spéculatives qui prévalent dans les hauteurs (ou les bassesses) de la finance et de l’art.

Si « La Possibilité d’une île » s’est vendu à 300 000 exemplaires chez Fayard, plutôt que chez Flammarion, c’est parce que, adossé au groupe Lagardère, Claude Durand, son nouvel éditeur lui assurait 1 million d’euros d’avance sur droits d’auteur en calculant que l’affaire serait rentable à partir de 250 000 exemplaires et d’une quarantaine de traductions.
Enchaîné par cette somme, l’auteur fit ce qu’il pouvait ou presque, et l’éditeur à fond. Le premier risquait sa vie, l’autre l’argent misé.

Quel est le principe commun à tous ces montages ? Ce sont des ventes à terme financées par l’emprunt.
La bulle gonfle tant qu’il y a de l’argent à lever.

Plus le support spéculatif est neutre, mieux c’est.
L’aura de mystère qui l’entoure fait le reste : on s’interroge un instant, toujours sans résultat mais comment pourrait-on, seul contre tous, rester crédible en déclarant qu’il n’y a rien, ni à comprendre ni à voir ?

Crédible, crédit… Il faut garder celui dont on dispose.
Pour vivre en société, nous n’avons que cela.
Confrontés à cette menace, on peut en être certain, l’essentiel est ailleurs : c’est la promesse de gain.

Fonds de placement incompréhensible, tableau abstrait ou écrivain minimaliste casé dans la banalité cradingue, de tels objets n’ont qu’une fonction transitionnelle.
Ils la remplissent d’autant mieux que, comme la monnaie, ils sont sans valeur propre. Celle qu’on leur trouve, ils la reçoivent des transactions dont ils sont le prétexte.

Ces mécanismes donent le vertige à l’instant qu’on les découvre car ils prennent aussitôt un tour métaphysique : chacun dans ce miroir se voit n’être lui aussi qu’objet transitionnel.

Les uns n’en supportent pas l’idée sans pouvoir pour autant l’oublier. Ils s’essayent alors à se donner consistance en se chargeant de riens monétisés qui, c’est vrai, leur ressemblent et leur donnent en retour un statut.

Les autres s’avouent n’être pour autrui que ce qu’autrui voit en eux et renoncent à se demander d’une personne, d’une œuvre ou d’une chose, ce qu’elle vaut par elle-même.
Des vendeurs de porte-à-porte, ils ont appris que le prix d’un bien qu’on voudrait acquérir tient à son emplacement pour fixer un prix à ce qu’on voudrait acquérir, ce n’est pas tant le bien qu’on doit prendre en compte que l’emplacement.
Mais, pour la personne elle-même, la valeur qui lui permet de vivre se trouve dans ce qu’elle fait.
Ce que nous faisons, c’est en cela que nous sommes sujets.

D’autres « font » juriste, ingénieur, mère de famille, chercheur ou chômeur.
Quant à Houellebecq, ce qu’il fait, c’est phénomène éditorial !

P.S. À ceux qui aimeraient aimer Michel Houellebecq, recommandons l’émission Le mystère Houellebecq qu’Alain Finkielkraut lui a consacrée récemment avec ses invités : Agathe Novak-Lechevalier et Frédéric Beigbeder

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