Qui pense ? Le brave vieux moi , croyez-vous ?

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« En ce qui concerne la superstition du logicien, je ne me lasserai pas de souligner un petit fait bref que ces superstitieux répugnent à avouer, à savoir qu’une pensée vient quand elle veut, et non pas quand « je » veux ; c’est donc falsifier les faits que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ».

Quelque chose pense, mais que ce quelque chose soit précisément l’antique et fameux « je », ce n’est à tout le moins qu’une supposition, une allégation, ce n’est surtout pas une « certitude immédiate ». Enfin, c’est déjà trop dire que d’avancer qu’il y a quelque chose qui pense ; déjà ce « quelque chose » comporte une interprétation du processus et ne fait pas partie du processus lui-même. On déduit ici, selon la routine grammaticale : « penser est une action, or toute action suppose un sujet agissant, donc… ».

C’est par un syllogisme analogue que l’ancien atomisme ajoutait à la force agissante ce petit grumeau de matière qui en serait le siège et à partir duquel elle agirait : l’atome ; des esprits plus rigoureux ont enfin appris à se passer de ce « résidu de la terre », et peut-être les logiciens eux aussi s’habitueront-t-il un jour à se passer de ce petit « quelque chose », qu’a laissé en s’évaporant le brave vieux « moi ».

Friedrich Nietzsche. Par-delà le bien et le mal. Des préjugés des philosophes. Paragraphe 17
(Friedrich Nietzsche. Œuvres. Robert Laffont. Bouquins p. 573 – Trad. Henri Albert, Jean Lacoste.)

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