Secret de la démocratie : l’asservissement d’autrui

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Lorsque Sieyès en 1789 observe que « nous sommes forcés de ne voir, dans la plus grande partie des hommes, que des machines de travail », il le fait en parfaite continuité avec « les pères fondateurs » (dans notre tradition) de l’idée de « démocratie ».
À Athènes, la décision politique est débattue directement entre les seuls citoyens, c’est-à-dire entre ceux qui, statutairement et matériellement libérés des contraintes quotidiennes par le travail des esclaves, sont ouverts à la connaissance et aptes à l’exprimer.

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[Sur ce sujet, voir l’excellent d’entretien d’Elucid avec Clara Egger sur le référendum constituant d’initiative citoyenne .]

Après l’esclave (privé ou public), il y aura le serf, le serviteur et le clerc.

Leur succéderont le manœuvre, le tâcheron, le domestique, l’employé et, à l’avènement de la machine, l’ouvrier, le mécanicien, le chauffeur. Enfin, avec la bureaucratie, le fonctionnaire prend la relève de l’ancien esclave public.
Dès lors, il n’est plus besoin d’ordonner, la machine s’en charge. Des ingénieurs la conçoivent, des investisseurs la financent et des technocrates agencent le tout de l’appareil du pouvoir.

Ce « tout » dont tous nous dépendons, qu’a-t-on besoin pour qu’il fonctionne d’entendre ceux qui y vivent ? Leur consentement suffit.

Les grands « explorateurs » d’hier obtenaient avec de la verroterie le consentement des lointains indigénats qu’ils pillaient.
Les grands « innovateurs » d’aujourd’hui, numériques ou non, l’obtiennent en distribuant des fonds électoraux, de la médiatisation et des délais de livraison.

Bref, l’invisibilisation de l’esclavage légitimait hier l’idéologie démocratique.

Ce tour de passe-passe en a fait une référence prestigieuse, alors même qu’elle était inhumaine. Depuis, la machine a relayé l’esclavage.

L’instrumentalisation technocratique de nos vies nous insensibilise aux asservissements qu’elle implique, aujourd’hui comme hier.
Migrations forcées, guerres imbéciles et catastrophes naturelles, le démontrent : ce n’est pas la victoire qu’il y a au bout de nos obsessions techno-démocratiques, c’est la destruction mutuelle.

Notre projet politique est donc à reprendre de fond en comble, jusqu’au secret honteux du rêve démocratique : l’asservissement d’autrui, dont on prend conscience lorsqu’à son tour il asservit le maître.

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