Tariq Ramadan, scandales et fin de partie

1. Interdits sexuels et cultures paranoïdes

Des années durant, Tariq Ramadan s’est comporté, nous dit la presse, en prédateur sexuel.
Certaines de ses victimes commencent à dire ce qu’il leur a fait vivre et les difficultés ou les drames qui en ont résulté. La justice en jugera.
Nous n’avons pas su les protéger. Le mal est fait quel qu’il soit exactement.
En tant que citoyens, c’est donc les prochaines fois qui nous importent.

Des prédateurs sexuels, il y en a d’autres et, quoi qu’on fasse, il y en aura toujours. Les mesures de protection, quand elles existent et qu’elles restent vivables, sont toujours imparfaites. Les autres, celles qui se veulent « absolues » (les murs de Nétanyahou et de Trump, par exemple, ou le projet nazi de destruction des juifs d’Europe), sont « pires que le mal » ou, dans ce cas précis, « pires que le mâle » puisque, de toutes les options envisageables, la castration est la plus sûre.

Il n’est donc pas raisonnablement question de supprimer tous les prédateurs sexuels, ni d’empêcher tous les crimes de ce genre, présents et à venir.
Le mieux qu’on puisse faire est d’ordre probabiliste :
1) réduire les chances de « réussite » des criminels,
2) éviter d’en produire de nouveaux.

C’est là que le cas de Tariq Ramadan est significatif.

Les comportements qu’on lui découvre ont été autodestructeurs et, ses choix, irrationnels.
Pourtant, l’homme est intelligent, très informé, souvent habile, capable de nuances. Il a de longue date un rôle public et en connaît le prix.

Son autorité tient à sa légitimité comme interprète contemporain d’une tradition rigoriste, un contexte qui est à l’opposé de celui dans lequel opérait par exemple Harvey Weinstein.

Reste que, comme tout homme en bonne santé dont le métier est de convaincre, donc de séduire, il était tenaillé par le sexe, porté par le désir.
Avec un autre message, à l’exemple de tant de nos hommes politiques, il n’aurait été qu’un séducteur.

Nous découvrons aujourd’hui (ou croyons découvrir par la presse) qu’il a été un prédateur, c’est bien différent.
Et c’est absurde.
Pourtant l’explication est sous nos yeux.

Hassan

Hassan el Banna jeune

 

Cet homme a prétendu diffuser en Occident l’idéologie des Frères musulmans, ce courant islamiste qui trouve son inspiration dans les écrits et la vie Hassan al Banna, le grand-père de Tariq Ramadan, un homme qui peut écrire que « tout contact mixte en tête-à-tête » doit être considéré « comme un crime susceptible d’être sanctionné ».

La répression engendre la perversion, c’est bien connu, et la misère (sexuelle ou pas) les transgressions.
Le scandale Tariq Ramadan est là pour nous le rappeler, après celui des prêtres pédophiles : la répression sexuelle engendre la perversion sexuelle.
Ce que ces affaires mettent en cause, c’est donc le système des interdits sexuels qui est au cœur de nos cultures.

Leur raison d’être est de protéger « les familles » (pas les personnes, comme on le voit au statut des femmes et des enfants) en tant que dispositifs de transmission des biens, des pouvoirs et des droits. C’est là une préoccupation qui prend un caractère paranoïde à mesure que lesdites familles, et les cultures qui en dépendent, se sentent menacées.

Toutes sortes de violences en procèdent…
– celles d’un homme comme Tariq Ramadan qui, parce qu’il s’est construit sur un insoluble conflit, ne pourrait jouir sans forcer,
– celles d’un certain fondamentalisme (parmi d’autres) dont il est l’un des symptômes,
– et celles de cette autre culture, la nôtre, qu’on dit « occidentale » parce que, tout autant paranoïde, elle s’est définie contre un ennemi constitutif qu’elle appelait l’« Orient».

2. La vie et les mœurs d’un
bourgeois suisse
?

Ce qui suit fait explorer les culottes sales de l’un des débats politico-religio-culturels du moment.

Tariq Ramadan m’a longtemps paru être un homme intelligent à la recherche d’un Islam compatible avec la modernité, voire avec l’Occident et victime en retour des procès d’intention suscités par sa notoriété.
À chaque fois qu’il essayait de cheminer habilement de la lettre à l’esprit ou, plus exactement, des interdits traditionnels à l’acceptable aujourd’hui, on l’accusait de double langage et moi, très conscient qu’il cheminait entre deux publics, je voyais en lui plus un médiateur qu’un agent double.

On ne disait pas un mot jusque-là d’éventuelles affaires sexuelles et je n’avais, pour ma part, aucune raison de me pencher sur sa vie privée.
En revanche, lorsque la presse en a parlé, particulièrement à la suite de son incarcération, mon regard a changé, d’où l’analyse qui précède, mise en ligne ce 12 mars.

Fin

Jusque-là cependant, je ne lisais que des « on-dit », parce que, pour leur protection, les témoins restaient cachés.
Or voici un témoignage oral enregistré d’un personnage connu (Alain Soral) qui a eu des contacts directs avec Tariq Ramadan et dont les déclarations sont d’une parfaite clarté :

« Ramadan, je pense qu’il a peur de ce que je fais et de ce que font d’autres parce qu’il n’est pas un religieux. Je le connais dans sa vie, moi, j’ai vérifié. Il a des maîtresses comme moi mais, moi, je ne suis pas religieux, je le reconnais.
J’ai une jeune amie à moi qui voulais divorcer car elle était mariée, tu sais, au bled, à 17 ans. Elle voulait divorcer. Son mari la frappait, il essayait de la mettre enceinte de force. Elle est venue me voir, je l’ai aidée à divorcer en mon âme et conscience.
Et, comme elle voulait une confirmation islamique car je ne suis pas musulman, je l’ai envoyée voir Tariq Ramadan. Il lui a proposé de lui payer un appartement pour en faire sa maîtresse quand il venait à Paris.
Tu vois… tout son islamisme s’est effondré, elle a quitté la religion. S’il est parti aux USA, c’est parce qu’il avait plein de casseroles comme ça. C’est un baiseur tu vois. Moi je n’ai rien contre. J’ai écrit « Sociologie du dragueur ». J’ai baisé toute ma vie mais je ne prétends pas être musulman et je ne donne pas des leçons, etc.
C’est un mec qui adore régner sur les filles de la communauté. C’est un baiseur, un baiseur de jeunes filles, de jeunes filles…
Je l’ai rencontré plusieurs fois. Ce n’est pas un religieux. Tariq Ramadan, c’est un politique, tu vois. C’est un séducteur. Il est beau mec, il le sait et il a un tas de casseroles de cul. C’est pour ça qu’il est terrorisé par moi, parce que cette affaire… la fille, si tu veux, s’est fâchée avec lui. Il est terrorisé. Il croit que c’est un piège que je lui ai tendu.
Ramadan n’est pas un religieux. Moi, tu ne me mens pas. J’ai dieu avec moi, tu vois ce que je veux dire. J’ai le scanner. Moi, il m’a dit, parce que je l’ai chopé plusieurs fois : « Alain, ce que tu fais est trop brutal, nia nia nia ». Je lui dis : « Pour moi, tu n’es pas musulman, tu es un bourgeois suisse. C’est très incompatible. Bourgeois, suisse et musulman, avec ta petite cravate et à petite barbichette comme ça, là… »
Source : http://www.lelibrepenseur.org/exclusif-soral-a-encore-menti-il-connaissait-les-frasques-de-son-copain-tariq-ramadan/

L’information provient d’un site « Le libre penseur » que je découvre. Il met l’accent sur le fait que Alain Soral a menti en produisant par ailleurs, le 15 février dernier, un communiqué selon lequel il n’a jamais eu de « contacts privés » avec Tariq Ramadan. Cette question m’importe peu. En revanche, elle fait imaginer un historique commun entre « Le libre penseur » et Alain Soral.
J’y subodore donc des orientations et des biais avec lesquels je ne sympathise pas.

Ceci dit, je ne peux raisonnablement douter que cet enregistrement soit authentique et je trouve plausible la description qu’Alain Soral fait de Tariq Ramadan.
En outre, je la trouve intelligente : faire de Tariq Ramadan un « bourgeois suisse », c’est bien trouvé, et cela signale qu’il y a plus à dire sur « notre culture » (l’occidentale) que je ne l’ai marqué dans l’analyse précédente.

Et si la vie et les mœurs de Tariq Ramadan étaient pour une large part celles d’un
entrepreneur
international (porteur de discours en l’occurrence, plutôt que de grands intérêts financiers, mais qu’est-ce que ça change quand on voit la trajectoire de certains gourous ?), assez proches au fond de celles d’un Édouard Stern, ce financier français, mort en 2005. On retrouva son cadavre dans son appartement de Genève, vêtu d’une combinaison de latex et ligoté à sa demande par sa maîtresse qui, à la suite d’un éclat, l’avait assassiné…

Edouard

Le parcours professionnel d’Edouard Stern (Les Echos. 04/03/2005)

Pour ce spécialiste de la manipulation, un
accident de carrière
dans des conditions qui l’apparentent à un suicide et qui, en cela, ressemble fort à ce qui est arrivé avant-hier à Dominique Strauss-Kahn et, aujourd’hui, à Tariq Ramadan.

Autant d’affaires anecdotiques, mais tellement dans l’esprit d’une
époque
en « fin de partie ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *