toto

Donc fasciste, la langue, complice de la propagande bourgeoise, mais curieusement l’accusation n’avait pas réclamé sa mise à mort quand il eût été logique de la faire monter sur l’échafaud à la suite du roman et de l’auteur, tous deux émanation de la classe dominante honnie. Sans doute que le procureur avait compris qu’en l’envoyant à la mort il se privait lui-même de son arme fatale. Toujours cette histoire de la scie, de la branche et de l’arbre. On se proposait plutôt de la rééduquer idéologiquement par le camp de travail, l’obligeant à relever poétiquement le mode d’emploi de la chignole, la recette du riz pilaf ou la composition d’un comprimé pharmaceutique. Au nom de quoi avait-on décidé que Le Bateau ivre était supérieur à la liste des courses, sinon au nom de la propagande bourgeoise ? La littérature était invitée à réapprendre l’humilité, comme les lettrés dans les campagnes chinoises brouettaient du lisier pour se purger des miasmes de la pensée droitière confucéenne. Nettoyée de ses ferments fascistes, la langue pouvait servir encore, brique primitive de la reconstruction révolutionnaire et radieuse sur la table rase du passé. À une condition, bien sûr : pas d’histoire, hein ? Car l’histoire, on a beau faire, c’est toujours se retourner. Et se retourner, c’est le geste réactionnaire par excellence.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *