Ukraine – Jeux pervers

Sous la présidence d’Emmanuel Macron, et cette malencontreuse présidence de l’Union européenne dont il n’a su s’abstenir [1], nous voici embarqués dans un jeu débile pour adolescents risque-tout.

[1] La proximité des élections présidentielles françaises l’y invitait. Cette décision prise, la guerre changea la donne. Requis de parler pour toute l’Europe qui est l’otage des États-Unis, il a été empêché de parler spécifiquement pour la France.

Oublieux de notre propre fragilité, nous avons déclaré une guerre économique dont nous sortirons par des faillites en cascade et des vies ruinées bien au-delà de ce qui s’est passé en 2008.

Ensuite, renouvelant les enchevêtrements d’alliance qui ont conduit aux deux guerres mondiales, nous sommes devenus de fait des co-belligérants. Avec de l’aide humanitaire et des livraisons d’armes à l’Ukraine, sous prétexte d’aider sa courageuse résistance, nous prolongeons le supplice de ce pays déjà pauvre et déchiré avant cette guerre. Il n’en restera demain que des ruines.

« Bon calcul, diront les cyniques, pourvu que ça reste chez eux ! ».

Ainsi pensons-nous « à l’Ouest », surtout si c’est outre-Atlantique.

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Cela vous choque ? C’est classique pourtant. En aidant à l’aveugle et manipulés par l’émotion, nous agissons dès aujourd’hui avec la cruauté connue de ceux qui se placent dans la position du « Sauveur » dans le dramatique Triangle de Karpman ».

« Ukraine, aujourd’hui, tu te débats avec l’Ogre russe mais, méfie-toi, dès demain tes sauveurs d’aujourd’hui feront plus que te lâcher, ils se retourneront contre toi. »

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Et ils auront, nous aurons un bon alibi pour cela, la ruine, notre propre ruine, celle que nous aurons attiré sur nos têtes en revenant à ce stupide jeu de « poule mouillée » contre lequel Bertrand Russell, dès la fin des années 50, tentait de nous prémunir.

« Les hommes d’État, tant à l’Est qu’à l’Ouest, ne sont parvenus à aucun programme possible pour mettre en œuvre la prévention de la guerre.

Depuis que l’impasse nucléaire est devenue évidente, les gouvernements de l’Est et de l’Ouest ont adopté la politique que M. Dulles appelle la stratégie de la corde raide .
C’est une politique adaptée d’un sport qui, me dit-on, est pratiqué par certains jeunes décadents.

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Ce jeu s’appelle poule mouillée . On y participe en choisissant une longue route droite avec une ligne blanche au milieu et en faisant démarrer deux voitures très rapides l’une vers l’autre depuis les extrémités opposées. Chaque voiture est censée garder les roues d’un côté sur la ligne blanche. À mesure qu’elles se rapprochent l’une de l’autre, le risque de destruction mutuelle devient de plus en plus pressant. Si l’un des conducteurs s’écarte de la ligne blanche avant l’autre, l’autre, au moment où il passe, crie Poule mouillée ! , et celui qui s’est écarté devient un objet de mépris.

Un tel jeu, quand il est joué par des garçons irresponsables, apparaît comme décadent et immoral, bien qu’on n’y risque que la vie des joueurs. Mais lorsque ce jeu est pratiqué par d’éminents hommes d’État, qui risquent non seulement leur propre vie mais aussi celle de plusieurs centaines de millions d’êtres humains, de part et d’autre, on pense que les hommes d’État du côté « gagnant » font preuve d’un haut degré de sagesse et de courage, et que seuls les hommes d’État de l’autre côté sont répréhensibles.

Ceci est bien sûr absurde. Les deux parties sont à blâmer pour avoir joué à un jeu aussi incroyablement dangereux. Le jeu peut être joué sans malheur quelques fois, mais tôt ou tard, on finira par sentir que perdre la face est plus terrible que l’anéantissement nucléaire. Le moment viendra où aucune des parties ne pourra faire face au cri de dérision Poule mouillée de l’autre partie. Lorsque ce moment sera venu, les hommes d’État des deux camps plongeront le monde dans la destruction.

En pratique, la plupart des politiciens acceptent cela au prétexte qu’il n’y aurait pas d’alternative. Si une partie ne veut pas risquer une guerre mondiale, alors que l’autre partie est prête à la risquer, la partie qui est prête à courir le risque sera victorieuse dans toutes les négociations et finira par réduire l’autre partie à une impuissance totale. « En théorie, dira le politicien pragmatique, il serait sage que la partie saine d’esprit cède à la partie folle, étant donné la nature redoutable de l’alternative, mais, qu’elle soit sage ou non, aucune nation fière n’acceptera longtemps un rôle aussi ignominieux. Nous sommes donc confrontés, inévitablement, au choix entre la politique de la corde raide et la capitulation ».

Cette façon de voir a régi la politique des deux parties au cours des dernières années. Je n’admets pas que la politique de la corde raide et la capitulation soient les seules options. La situation exige une ligne de conduite tout à fait différente, réglée non plus par la lutte pour le pouvoir, mais par l’appel au bien-être commun et aux intérêts communs des parties rivales.

Ce qu’il faut faire est d’abord d’ordre psychologique.

Si l’on veut atteindre ce but, il faut que les deux parties changent à la fois d’humeur et d’objectif. L’initiative, dans la mesure où elle est gouvernementale, devra peut-être venir de nations non engagées ; mais l’attitude générale qu’il faut souhaiter dans les nations engagées de l’Est et de l’Ouest, devra d’abord être portée par des individus et des groupes capables d’imposer le respect.

L’argument à adresser à l’Est comme à l’Ouest devra être à peu près le suivant. Chaque partie a des intérêts vitaux qu’elle n’est pas prête à sacrifier. Aucune des deux parties ne peut vaincre l’autre sans se vaincre elle-même par la même occasion. Les intérêts pour lesquels vous êtes en conflit sont incommensurablement moins importants que ceux qui vous unissent. Le premier et le plus important de vos intérêts communs est la survie. […] »

Extrait du ch. 3. Méthode de règlement des différends à l’ère nucléaire (trad. PN) de Common Sense and Nuclear Warfare (1959).

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