Voter au temps des apprentis sorciers

Voici un exposé clair du raisonnement qui a été tenu par Steve Bannon pour actionner Robert Mercer, Strategic Communication Laboratories et le département spécialisé dans les élections américaines, (voire le Brexit) qui, sous la houlette d’Alexander Nix, est devenu Cambridge Analytica.

Christopher Wylie interrogé par la journaliste Carole Cadwalladr

Soit en français et en substance la recette suivante…

Briser la société en morceaux

Si vous voulez fondamentalement changer une société, et donc prendre le contrôle de sa politique, comme les options de celle-ci sont définies et stabilisées par sa culture, vous devez d’abord la briser en morceaux.
C’est ce que permet le micro-ciblage politique des éléments fragiles des processus électoraux. Sélectionnez alors dans ces éclats ceux qui entrent dans votre vision et réassemblez-les comme vous pouvez.

Cette approche dérive des travaux de l’armée française sur la « guerre psychologique » (lors de la guerre d’Indochine, puis de la guerre d’Algérie). Les AngloSaxons ensuite l’ont informatisée, diversifiée, puis généralisée par la grâce des « médias sociaux ».

Les Américains s’étant un peu lassés de tâtonner avec la technique grossière de coups d’État menés par des forces spéciales et des proxys, ils ont élargi leur offre avec Gene Sharp et les « révolutions de couleur ».

Les Britanniques, plus pauvres et plus attachés à la forme démocratique (mais pas au fond), ont investi davantage sur les opérations militaires de désinformation, de construction d’image et de ciblage de groupes électoraux.

Depuis les années 90, ce fut la grande spécialité de Strategic Communication Laboratories. Jusqu’à la clôture récente de ses activités et de son site, cette société se vantait d’avoir influencé des élections en Italie, Lettonie, Ukraine, Albanie, Roumanie, Afrique du Sud, Nigéria, Kenya, Île Maurice, Inde, Indonésie, Philippines, Thaïlande, Taïwan, Colombie, Antigua, Saint-Vincent et les Grenadines, St. Kitts & Nevis, Trinidad & Tobago.

L’abstention aussi peut être manipulée

Pour éclairer les esprits simplistes qui concluraient de ce qui précède qu’il vaut mieux s’abstenir, rappelons l’intervention de Cambridge Analytica dans les élections législatives de 2010 à Trinidad & Tobago.

Les formations politiques s’y distinguent par leur base ethnique, africaine ou indienne. Patrick Manning (1946-2016), premier ministre sortant, appartient à la première. Après neuf ans d’office, il a lassé une partie de son électorat. Pour l’autre camp, il y a une chance à saisir.

Or, étant en campagne, Patrick Manning tente de serrer la main de tous ceux qu’il rencontre. Il entre ainsi dans le jardin de Percy Villafana, un vieux Trinidadien qui juge négativement son action. Refusant la main tendue du candidat, il lui oppose ses bras qu’il croise, poings fermés en signe de fermeture.

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À Cambridge Analytica, on sait que les jeunes Africains ont tendance à s’abstenir alors que les jeunes Indiens, plus respectueux des Anciens, votent comme leur disent leurs parents. Il ne reste plus qu’à relayer le geste d’opposition à Patrick Manning pour en faire une consigne d’abstention.

C’est ainsi que la campagne « Do So » (« Faites ainsi ») fut lancée, moyennant affiches, photos et vidéos dynamiques.

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Plus l’autre camp s’abstenait, plus augmentaient les chances de son opposante d’origine indienne : Kamla Persad-Bissessar, qui fut effectivement élue.

Moralité : si vous ne voulez pas que, dans une élection, on vous manipule, soyez conscients que les consignes d’abstention font partie des moyens d’y parvenir.

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