De la catastrophe au Pakistan à l’eunomie internationale

[English version below]

35 millions de personnes déplacées, des milliers de morts, la destruction massive des champs et du bétail, la famine et les épidémies à venir, ne seront pas surmontées sans repenser profondément les systèmes mis en avant par les « pays du Nord ». Comme partout ailleurs, le jeu de la dette a enrichi les élites locales pour les asservir aux intérêts des États-Unis pendant la guerre froide, puis la guerre au terrorisme. C’est ensuite aux pauvres qu’on demande de rembourser cette dette dans le cadre du plan d’austérité imposé par le Fonds Monétaire International.
Le Pakistan est aux abois.

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Puissances et puissants n’oublieront certes pas qu’il détient l’arme atomique. Leurs intentions ne bénéficieront donc durablement qu’aux affairistes de l’aristocratie, de l’immobilier et de l’armée.

Voyons plutôt qu’une catastrophe de cette ampleur peut donner le départ à l’élaboration collective d’un ordre international alternatif qui traiterait sérieusement des questions posées par l’histoire mondiale des injustices, de l’impérialisme et du capitalisme. Une telle perspective associerait les initiatives de ceux qui, au Nord de la planète, combattent le militarisme, le nationalisme et l’addiction aux énergies fossiles, avec celles de ceux qui, au Sud, combattent l’exploitation par les élites locales, les pays étrangers, et les institutions financières internationales.

En d’autres termes, plutôt que de s’en tenir à de très limitées et temporaires initiatives humanitaires, il est ici question de prendre appui sur les contradictions du présent pour imaginer et construire un autre avenir pour tous, qui soit durable, solidaire et audacieux.

Une eunomie ( bon ordre ) internationale aurait dit Solon.

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Climat… Militantisme, action collective et débat

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Radio France engage un tournant environnemental : « NOUS NOUS TENONS RESOLUMENT DU COTE DE LA SCIENCE, en sortant du champ du débat la crise climatique, son existence comme son origine humaine. Elle est un fait scientifique établi, pas une opinion parmi d’autres. »

[Voir infra le Manifeste de radio France]

Je suis content de découvrir cette déclaration de politique éditoriale, elle a le mérite d’être claire et idéologiquement cohérente.
Ailleurs, dans d’autres médias, on tient d’autres propos, l’on promeut d’autres croyances et se donne d’autres priorités.
De telles « politiques » restent souvent implicites. Des initiés, le cas échéant, les affinent, les font évoluer mais leur « cela va sans dire » suffit pour manager une équipe rédactionnelle sans que le tribunal de l’opinion s’en saisisse..
Mérite additionnel de cette solution : elle permet de maintenir la fiction de l’indépendance des journalistes à l’égard des propriétaires du journal.

Donc merci à Radio France, chaîne de service public, d’exister et de faire connaître ses choix éditoriaux.

Ce parti pris de se situer « du côté de la science » est assez proche du mien pour que je continue à m’intéresser aux productions de Radio France.

En revanche, l’idée de sortir la crise climatique du champ du débat est une erreur, et ceci pour trois raisons : politique, scientifique et cognitive…

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Quand vous vous sentez piégé, comment vous libérer ?

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La prochaine fois que vous vous sentez piégé, demandez-vous s’il se pourrait que vous y soyez pour quelque chose. Essayez donc de lâcher prise.

Quand une enfant l’apprend, c’est beau.

Quand un ou une adulte l’ignore, c’est con.

D’autant que vous, adulte, vous disposez d’un indice pour repérer les fois où il faut lâcher prise : quand les échecs se répètent alors que les circonstances varient, le point commun, c’est vous !

À quelque chose, bévue est bonne ? oui mais à quoi ?

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Dans un discours international en tant que Chef d’État, Biden a proclamé son « indignation morale ».

Cela n’aurait de sens que dans un rapport entre personnes libres de mettre de fin à leur relation.

Un tel accès de moralisme est donc hors de propos.

Un dérapage ?

Il y a là un « dérapage » analogue à celui de De Gaulle à Montréal en 1967 (« Vive le Québec libre ! »). Les naïfs mirent cette bévue au compte de la fatigue et l’âge du général (77 ans).

La comparaison est donc parfaite avec celle de Joe Biden en 2022.

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Dans les deux cas, un chef d’État étranger proclame qu’on « assiste ici à l’avènement d’un peuple qui dans tous les domaines veut disposer de lui-même et prendre en main ses destinées. » » (Charles De Gaulle, Québec, le 23 juillet 1967). Quant à Joe Biden, alors que la Russie est en guerre contre l’Ukraine qu’il soutient, à Varsovie, capitale d’une Pologne qui a des frontières communes avec l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie (par Kaliningrad), il déclare que « Pour l’amour de Dieu, cet homme (Vladimir Poutine) ne peut pas rester au pouvoir ! ».

Dans les deux cas…

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Ces présidents jouent consciemment des résonances de l’histoire…

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Ukraine – Jeux pervers

Sous la présidence d’Emmanuel Macron, et cette malencontreuse présidence de l’Union européenne dont il n’a su s’abstenir [1], nous voici embarqués dans un jeu débile pour adolescents risque-tout.

[1] La proximité des élections présidentielles françaises l’y invitait. Cette décision prise, la guerre changea la donne. Requis de parler pour toute l’Europe qui est l’otage des États-Unis, il a été empêché de parler spécifiquement pour la France.

Oublieux de notre propre fragilité, nous avons déclaré une guerre économique dont nous sortirons par des faillites en cascade et des vies ruinées bien au-delà de ce qui s’est passé en 2008.

Ensuite, renouvelant les enchevêtrements d’alliance qui ont conduit aux deux guerres mondiales, nous sommes devenus de fait des co-belligérants. Avec de l’aide humanitaire et des livraisons d’armes à l’Ukraine, sous prétexte d’aider sa courageuse résistance, nous prolongeons le supplice de ce pays déjà pauvre et déchiré avant cette guerre. Il n’en restera demain que des ruines.

« Bon calcul, diront les cyniques, pourvu que ça reste chez eux ! ».

Ainsi pensons-nous « à l’Ouest », surtout si c’est outre-Atlantique.

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Zelensky a cassé son vélo… et l’Ukraine

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Yuval Noah Harari se réjouissait le 28 février que Poutine ait, disait-il, « perdu sa guerre »

Le 1er mars, Bruno Le Maire déclarait que la France et l’Union européenne allaient « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », dans l’objectif assumé de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ».
Qu’il soit revenu en arrière depuis en parlant diplomatiquement de « stratégie de désescalade », devrait sauver sa carrière mais ne trompera personne.

___

Dans une guerre, tous les combattants sont des perdants (dans celle-ci, même si elle se termine vite et « bien », ce sera la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie, les pays limitrophes, l’Europe) mais pas ceux qui les actionnent de loin.

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Ukraine, Ouest et Est… Comment sortir de la tragédie ?

Le 18 février à 14h29,  j’ai écrit sur ma page Facebook (je surligne en jaune les mesures concrètes) que…

OUI, UNE GUERRE EST POSSIBLE AUTOUR DE L’UKRAINE. Cela résulte d’un jeu dangereux qui a commencé depuis longtemps.
Les États-Unis n’ont pas tenu la promesse faite à Gorbatchev. Poutine a considéré que c’était le moment de s’en réclamer.
Biden, le nouveau président des États-Unis, s’est découvert en position de faiblesse depuis son élection. Il veut donc montrer ses muscles à l’international, face à l’ennemi qu’il s’est choisi (Poutine) pour sa faiblesse relative (par rapport à Xí Jìnpíng).
Y A-T-IL UNE SOLUTION NEGOCIEE qui permette à Biden de sauver son honneur sans humilier Poutine ?
Elle risque de prendre du temps, ce que les va-t-en-guerre de part et d’autre vont tenter d’exploiter pour créer l’incident décisif. C’est là que se trouve le vrai danger.
Ceux qui veulent la paix doivent donc pousser Biden, Poutine, Zelensky et l’Europe à les empêcher de mettre le feu aux poudres.
Ceci dit, QUELLE SERAIT LA SOLUTION ?
Avec leur bénédiction, dans un grand discours patriotique, Volodymyr Zelensky déclare la NEUTRALITE DE L’ENSEMBLE DE L’UKRAINE et, pour la mettre en œuvre démocratiquement, il propose au suffrage populaire L’ADOPTION D’UN PRINCIPE FEDERAL.
Une telle option est adaptée aux circonstances historiques, mais surtout elle est conforme à l’honneur et aux aspirations du peuple ukrainien.
Cette proclamation s’accompagne de l’annonce d’un REFERENDUM (option démocratique correspondant aux vœux de tous, les États-Unis, la Russie et l’Europe… et cochon qui s’en dédit) à deux dimensions :
1) AFFIRMATION DE L’UNITE ET DE LA NEUTRALITE DE LA NATION (ce qui, pour le président, vaudra mission de mise en œuvre des moyens correspondants) ;
2) réorganisation de l’État sur un PRINCIPE FEDERAL respectueux des contraintes historiques et géographiques de l’Ukraine. LE DONETSK ET LUHANSK, TOUT EN RESTANT UKRAINIENS, OBTIENDRONT AINSI L’AUTONOMIE CULTURELLE ET ECONOMIQUE A LAQUELLE ILS ASPIRENT.

Depuis, Volodymyr Zelensky s’est enfermé dans une position belliciste à tout crin.

Le 22 février à 11h15, j’en prends acte en écrivant…

L’action prévaut désormais.
Que faire dans l’immédiat, à part en prendre la mesure, sauver les meubles et, quand le rapport des forces se stabilisera, revenir à la négociation ?
Dans un conflit, le grand art est de se synchroniser avec son opposant sur le moment de prendre ses pertes mais cette proposition, malheureusement, ne vaut que pour ceux qui survivent.

Le 25 février, voyant que les armées russes sont entrées en Ukraine et que les Etats-Unis, l’OTAN et l’Europe ne font rien, que la situation pour Zélensky est sans espoir, j’écris que…

ZELENSKY DOIT DEMANDER L’ARMISTICE, ET LE PLUS VITE SERA LE MIEUX
L’attaque russe a montré que POUTINE ETAIT SERIEUX. En réaction, Volodymyr Zelensky, le président de l’Ukraine, a décrété la mobilisation générale.
Son appel au peuple était en vérité un appel à ceux qu’il espérait être ses alliés. La réponse des États-Unis et de l’Europe ne s’est pas faite attendre : DES SANCTIONS, RIEN DE SERIEUX.
LA DEFAITE MILITAIRE DE L’UKRAINE EST DONC CERTAINE.
Si, en authentique « serviteur du peuple », Zelensky la déclare aujourd’hui et demande l’armistice, il limite les morts (plus d’une centaine aujourd’hui), les blessés (plusieurs centaines), les destructions matérielles et l’affaiblissement du pays par l’immigration.
Si au contraire, encouragé par ses faux amis occidentaux, il appelle à poursuivre le combat, la ruine du pays est certaine.
Aucune victoire n’est envisageable et la poursuite du conflit est pire. L’Ukraine deviendra un nouveau Vietnam ou une nouvelle Corée… en Europe, d’où la prudence de ses prétendus alliés.
Quand l’échec est certain, le vrai courage est de le déclarer le plus vite et le plus nettement possible.
Cette recommandation vaut d’abord pour Zelensky et pour son entourage.
Elle vaut également pour l’Europe, l’OTAN et les États-Unis.
DONNER A POUTINE SA VICTOIRE LIMITE LES DEGATS POUR TOUT LE MONDE ET LA SATISFACTION QU’ON DONNE AINSI A L’ENNEMI D’HIER CREE UNE SITUATION INATTENDUE OU D’AUTRES POSSIBLES DEVIENNENT ENVISAGEABLES.

Quels possibles ? Je réponds à cette question le 25 février à 23 heures, constatant que Zelensky « joue la carte du courage désespéré », je réponds à cette question avec la proposition que tu connais…

Pour une COMMISSION « VERITE ET RECONCILIATION » ENTRE PAYS DE L’OTAN ET RUSSIE
Zelensky dément les rumeurs de demande de cessez-le-feu. D’après le compte rendu que dans le New York Times de sa dernière déclaration à sept heures du matin heure locale (voir vidéo suivante), il dit : « Il y a beaucoup de fausses nouvelles suivant lesquelles je demande à l’armée de déposer les armes et d’évacuer. Voilà ce qu’il en est : je suis là (au palais présidentiel). Nous ne déposons pas les armes. Nous allons protéger notre pays, parce que nos armes sont notre vérité. La vérité est que ceci est notre terre, notre pays, nos enfants, et nous allons les protéger tous. Voilà. C’est ce que je voulais vous dire. Gloire à l’Ukraine. »
https://twitter.com/i/status/1497450853380280320
« Nos armes sont notre vérité ? » Zelensky joue donc la carte du courage désespéré.
Chacun s’interroge sur la suite.
Aux États-Unis, le très estimable (à mes yeux) Robert Reich liste les « huit réalités qui donnent à réfléchir sur l’invasion de l’Ukraine » : 1. Les sanctions économiques que l’on prépare ne vont pas empêcher Poutine de s’emparer de l’Ukraine. 2. Les sanctions qui pourraient lui nuire sérieusement portent sur les exportations russes de pétrole et de gaz. 3. Elles nuiraient sérieusement aux consommateurs européens et américains en faisant grimper les prix de l’énergie, ce qui aggraverait l’inflation. 4. En prétendant affaiblir la position de Poutine en Russie on risque de renforcer la réaction nationaliste des Russes. 5. En outre, cela contribuerait au rapprochement entre la Russie et la Chine. 6. Toute crise internationale a des effets sur la politique intérieure. On néglige les réformes sociales, les budgets militaires augmentent, on perd conscience de ce qui, domestique ment, ne va pas. 7. Il est peu probable que les sanctions déclenchent une véritable guerre entre la Russie et l’Occident, mais les tentatives qu’on fera pour la limiter peuvent échouer. La guerre c’est l’enfer. 8. Poutine n’en reste pas un danger pour la démocratie. En Europe de l’Ouest et aux États-Unis, il stimule les réflexes racistes et nationalistes. En ce sens, le Trumpisme continue d’être le meilleur allié de Poutine.
https://robertreich.substack.com/…/the-8-sobering…
Paul Jorion  nous explique par ailleurs que les échanges capitalistes sont trop dépendants du système SWIFT pour pouvoir le bloquer.
Le Figaro se demande quelles seront les prochaines avancées de Poutine. L’ex-Yougoslavie ? https://www.lefigaro.fr/…/au-dela-de-l-ukraine-la…
Sous-entendu, il faut l’arrêter. Il ne comprend que le langage de la force. Et nous donc ? Nos armes sont-elles vraiment « notre vérité » ?
En ce moment, la raison parle bas, honteuse et se voile de morale tout en distillant des appels au meurtre.
Y sommes-nous obligés par la situation ?
Cette tentation résulte de la façon que nous avons de l’interpréter. Nous pouvons en changer.
Si, après avoir diabolisé Poutine, vous constatez que vous en avez peur, comment vous en sortir ?
COMPRENEZ QUE C’EST LE MOMENT DE VOIR LE POUTINE EN NOUS.
En quelque sorte, ne devrait-on pas s’engager dans une COMMISSION « VERITE ET RECONCILIATION » ENTRE PAYS DE L’OTAN ET RUSSIE ?

Hier, le 26 février à 16 heures, après avoir relayé le point de vue d’Anatol Lieven, comme il s’en tient à l’enchaînement des situations, je commente (tout cela est en anglais)…

OF COURSE, I WRITE AT A DIFFERENT LEVEL: how to think without aggravating the situation, and how to recreate a positive reciprocal relationship between USA-NATO and Russia?
Unfortunately, the theoretical solution I have identified (that of an international Truth and Reconciliation Commission) cannot be implemented without destabilizing all the powers that be. This will not happen overnight and involves enormous risks, but continuing as before would have well known and worse results (wars, rise of inequalities, social crisis, increased climatic imbalance). In my view, IT IS TIME TO END THE ECONOMIC AND IDEOLOGICAL APARTHEID OF EAST AND WEST.

Traduction
Bien sûr, j’écris à un autre niveau : comment penser sans aggraver la situation, et comment recréer une relation réciproque positive entre les USA, l’OTAN et la Russie ?
Malheureusement, la solution théorique que j’ai identifiée (celle d’une Commission internationale Vérité et Réconciliation) ne peut être mise en œuvre sans déstabiliser tous les pouvoirs en place. Cela ne se fera pas du jour au lendemain et comporte des risques énormes, mais continuer comme avant aurait des résultats bien connus et pires (guerres, montée des inégalités, crise sociale, déséquilibre climatique accru). A mon avis, IL EST TEMPS DE METTRE FIN A L’APARTHEID ECONOMIQUE ET IDEOLOGIQUE DE L’EST ET DE L’OUEST.

« En finir avec l’apartheid économique et idéologique de l’Est et de l’Ouest », telle est la ligne générale que je propose.

N.B. Avec d’autres mots, cela a été souvent proposé

Plutôt que Mao, juger nos idéaux

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L’histoire ne repasse pas les plats, c’est une affaire entendue mais je saisis l’occasion d’un documentaire sur LCP intitulé :

Chine : à quand le jugement de Mao ?

pour faire le point sur ce que je crois savoir de l’aventure maoïste, m’en rappeler la chronologie et me demander ce que j’en pense.

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L’Arc de Triomphe est emballé, qui va l’emporter ?

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English translation below

Napoléon fut un désastre pour la France et l’Europe. Je suis donc fermement opposé à l’idée de le célébrer à l’occasion du deux-centième anniversaire de sa mort en exil.
Plutôt que de commémorer l’exil de ce criminel, c’est la guerre elle-même qu’il nous faut exiler.

Exilons l’arche de la guerre

L’Arc de Triomphe fut élevé pour consoler les Français bellicistes des défaites et des guerres désastreuses que les aventures napoléoniennes ont entraînées. Maintenant que l’Arc de la Honte est emballé, j’attends des déménageurs qu’ils terminent le travail et emportent ce monument pervers.

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Notre devoir d’être des garde-fous pour autrui

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Olivier Maire – Emmanuel Abayisenga

Merci à Cécile Murray pour cet utile et touchant témoignage sur Emmanuel Abayisenga, cet immigré inconnu (comme le soldat du même nom) avant que, lamentablement, il s’affuble des qualificatifs indélébiles d’incendiaire et d’assassin.

Les traumatismes personnels et la destruction des entourages rendent fou. Nous produisons de tels fous, tous les jours dans les pays que nous martyrisons, en quantité industrielle comme les armes dont nous faisons parade.

Ces victimes, notre but n’a jamais été de les sauver mais de nous en débarrasser. Quelques rescapés abordent à nos rives mais – fous d’ailleurs ou d’ici – c’est pareil : nous ne savons qu’en faire. Les exigences de la vie « normée » (celle que l’on prétend normale ) ne sont pas faites pour les grands blessés ni les handicapés, physiques ou psychiatriques.

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Faire ou pas faire quelque chose pour eux ? Si l’insertion semble à portée, c’est un pari qu’on peut tenter. Au-delà, on entre dans l’inhumain.

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Open-mindedness, the long march

Voir en français : Ouverture des esprits, la longue marche

Here is a modest, clever and spectacular contribution to the opening of minds.

In the course (2016) of this (42-minute) BBC program (Global philosopher), Michael Sandel (Harvard) asks 60 educated young people from 30 countries to speak out on various climate change issues.

Technically, it is difficult to do better.

As for the content, it is exemplary (there is a debate) and educational (presentation of the problem and of some ideas).

However, do not expect anything in terms of action (we are not here for that)… The professional philosopher concludes with a pro domo plea: let’s keep thinking!

So why should we care about this little media masterpiece?

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Ouverture des esprits, la longue marche

English version: Open-mindedness, the long march

Voici une modeste, astucieuse et spectaculaire contribution à l’ouverture des esprits.

Au cours (2016) de cette émission (42 minutes) de la BBC (Global philosopher), Michael Sandel (Harvard) demande à 60 personnes (jeunes éduqués) venant de 30 pays de s’exprimer sur diverses questions relatives au changement climatique.

Techniquement, il est difficile de faire mieux.

Quant au contenu, c’est exemplaire (il y a débat) et pédagogique (présentation du problème et de quelques idées).

N’en attendez cependant rien pour l’action (on n’est pas là pour ça)… Le philosophe professionnel conclut par un plaidoyer pro domo : continuons à réfléchir !

Alors, pourquoi s’intéresser à ce petit chef-d’œuvre médiatique ?

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Au delà du dépassement des conflits

Les histoires intéressantes ou importantes portent toutes sur le dépassement d’un conflit ou d’une opposition qui, pendant l’aventure, devient structurante, créatrice d’« identités ».

Deux lectures recommandées pour approfondir ce thème…

  • Sur la question « Comment des groupes humains se constituent en société ? » : Maurice Godelier. Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie. Albin-Michel 2007. 296 p.
  • Sur la construction d’histoires : Robert McKee. Story. Contenu, structure, genre. Les principes de l’écriture d’un scénario. Dixit Esra. 2009 416 p.

Mais c’est le « et après ? » qui m’importe.

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Après, c’est la fin de l’histoire

  • du conte de fées (ils se marièrent, furent heureux et eurent beaucoup d’enfants),
  • de l’ennemi ou de la guerre (victoire décisive, communauté européenne, Francis Fukuyama),
  • ou la réussite (généralement posthume) de l’artiste, du chercheur ou de l’entrepreneur.

Fin de l’histoire, donc du conflit, donc des héros, effacement des personnages, délitement de la famille, de l’entreprise, du peuple.

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Convivialisation et créolisation

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Patrick Chamoiseau

Appelons « créolisant » le mouvement lancé par Édouard Glissant (1928-2011) et Patrick Chamoiseau (1953- ), fédéré aujourd’hui dans « L’institut du Tout-Monde ».

Ce qu’ils ont écrit et pensé mérite l’intérêt des Convivialistes et le mien : sur une trajectoire fraternelle, ils ont été et seront encore demain magnifiquement créatifs et sources d’inspiration.

D’où l’intérêt de les mettre en regard…

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La laïcité est un piège ; l’alternative ? la convivialité

Souvenez-vous des raisons pour lesquelles la France a opté pour la laïcité.

Ce pays qui avait été « la fille aînée de l’Église » voulait à la fois se débarrasser de l’imaginaire des monarchies « de droit divin » et proclamer son indépendance à l’égard de l’Église romaine. D’où la République laïque avec, comme fondement populaire, le citoyen nanti de droits et sa laïcité pour liberté, celle de désobéir au clergé. La France s’est ainsi inventé une conception de l’ordre public indépendante de l’ordre catholique. Elle n’a pas pour autant changé de culture.

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On l’a bien vu dans l’œuvre coloniale, en Tunisie par exemple où la colline de Byrsa fut agrémentée d’une cathédrale dédiée à Saint-Louis. Formellement pourtant, on respectait les musulmans. Carthage avait été détruite par Rome, une autre Rome désormais la marquait, et c’était tout. Avec l’indépendance nationale, juridiquement, la France s’est retirée. Culturellement pourtant, elle est restée, cachée sous un faux-nez : celui de la laïcité.

Celle-ci était pour nous une solution que nous avions inventée en même temps que notre vocation coloniale quand l’Europe ne fut plus qu’un champ clos. Cela n’en fait pas un solution universalisable.

Temporairement, la laïcité nous a donné une souplesse d’adaptation que nous n’aurions pas eue sans elle. Dans des régions et des pays cimentés par d’autres traditions, elle inspire des protestations génératrices de désordres insurmontables. Son œuvre continue de désintégration compromet des États qui tentent d’émerger dans des processus d’acculturation qui déstabilisent toutes les institutions.

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Souabes nous ?

J’ai récemment fait sur Facebook l’éloge d’Henri Guillemin, particulièrement pour son interprétation de la guerre de 1870, de la Commune de Paris et de sa répression. Pour m’en expliquer, j’ai souligné que, dans ma famille, aux générations qui m’ont précédé, on n’en disait que le drame que ce fut pour les Alsaciens-Lorrains dont nous étions.

L’un de mes amis, qui a des racines de l’autre côté du Rhin, a alors suggéré en souriant que nous étions « Souabes », sous-entendu « comme lui » ou une partie « des siens ».
– Volontiers me suis-je dit, d’autant qu’il est ici question d’amitié, mais qu’est-ce exactement qu’un « souabe » ?
J’ai alors pensé au projet que nous avions eu autrefois de marcher ensemble dans la Forêt-Noire, qui est le pendant géologique et forestier des Vosges dont une partie de ma famille est originaire. Puis j’ai regardé la carte qu’il m’a communiquée du duché de Souabe vers l’an 1000

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Mais la Souabe n’est plus aujourd’hui que la zone linguistique du Souabe, une lointaine survivance du Suève parlé par les Alamans, un groupe de tribus germaniques qui, plus lointainement encore, ont eu des problèmes avec les Romains, puis les Francs.
Le Souabe entre donc dans le groupe des langues alémaniques dont voici la carte…

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Mais il y a les frontières…

Celles de la géographie. L’unité du massif vosgien est une idée récente, due au travail des cartographes. Elle est renforcée par le tourisme alors que les Vosges, autrefois, était perçues comme une montagne frontalière entre une partie romane et l’autre germanique.

Celles de l’histoire, si indécises du fait des principes juridiques incompatibles du royaume de France et du Saint-Empire germanique. Ces recouvrements justifieront outre-Rhin l’idée que l’unité allemande passe par la (re)prise de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine.

Mais qu’est-ce qu’un peuple quand les territoires sont incertains ? Une langue et là, précisément, il y a deux traditions linguistiques et plus encore de dialectes et d’accents.

Ne pas nous prendre pour les dieux de l’Olympe

En mars 2002, Ivan Illich n’a plus que neuf mois à vivre. Il le sait et tout le monde le voit : une énorme tumeur marque sa joue. Son intervention en ouverture vaut comme réponse amicale au colloque Unesco « Défaire le développement, refaire le monde » qui s’est constitué autour d’idées qui ne lui appartiennent pas et qui pourtant, profondément, portent sa marque. forme d’hommage sur un thème qui restera pour longtemps marqué par sa pensée, celui des illusions et des erreurs du développement.

n’est qu’une improvisation amicale en ouverture d’un colloque’est que l’improvisation amicale (voyez la liste de ceux qu’il cite) d’un homme qui se sait condamné (il mourra neuf mois plus tard) ; des variations d’une idée à l’autre ou, plutôt, d’une rencontre à l’autre ; mais toujours sur le thème des illusions et des erreurs du développement, ce sujet auquel Ivan Illich a tant contribué et autour duquel s’était constitué ce colloque en forme d’hommage.

Ça part dans tous les sens et c’est mal traduit, mais comporte quelques idées fortes, dont cette mise en garde dont j’ai fait le titre de cet article : nous qui réfléchissons aux erreurs auxquelles, en tant qu’acteurs du monde moderne, nous participons, soyons attentifs, dans notre humilité de repentis, à ne pas nous prendre pour les dieux de l’Olympe : « Défaire le développement, refaire le monde », c’est trop, bien plus que nous pouvons.

Le développement ou la corruption de l’harmonie en valeur

Ivan Illich

(in Défaire le développement, refaire le monde. Colloque mars 2002 Unesco)

José Bové dit quelque chose de tout à fait simple, de presque trivial, qui m’a ouvert les yeux : « Ce qui était gratuit devient payant ».

Permettez-moi de faire une permutation : « ce qui était bon a été transformé en valeur ». Tout ce que José Bové dit très clairement est une conséquence logique, inévitable, si l’on ne remet pas en question l’idée de valeur.

Quand j’ai fait mes études, j’ai dû pendant sept ans écouter les leçons et rédiger mes travaux en latin. Cela m’a facilité la lecture des premières discussions universitaires, à la Renaissance et plus tard. Eh bien, je n’aurais pas en latin un mot pour traduire le concept de valeur.

Je me souviens que Lester Pearson m’avait invité pour discuter les thèses de Gunnar Myrdal qui citait l’Évangile, où il est dit que « ceux qui ont auront davantage et ceux qui n’ont pas, on leur prendra même ce qu’ils ont ». J’étais profondément scandalisé.

Depuis lors, j’ai compris la crédibilité de l’Évangile et la sagesse de ce Myrdal qui, avec Keynes, présente une pensée des trivialités économiques. Mais je me souviens à quel point mon opposition à l’idée même de développement m’isolait d’une manière extrême. La raison pour laquelle je m’intéressais à cela, c’est que c’était l’époque de l’invasion de l’Amérique latine par les volontaires. Des volontaires qui apportaient avec eux le modèle, l’exemple de l’homme évolué. C’est à ce moment-là, probablement après qu’il ait compris que j’étais confronté à la violence extrême, que Myrdal m’a invité à déjouer le développement. « Déjouer » n’est pas le terme à utiliser, ce serait plutôt l’idée d’éviter. Aujourd’hui encore, les gens utilisent la violence pour témoigner de ce désir.

J’ai essayé de montrer la contre-productivité du développement, non pas celle de la surmédicalisation, ou des transports qui augmentent le temps que nous passons à nous déplacer, mais plutôt la contre-productivité culturelle, symbolique. Des dizaines de livres parlent aujourd’hui des pieds comme d’instruments de locomotion sous-développés. Il est devenu difficile d’expliquer que les pieds sont aussi des instruments d’enracinement, des organes sensitifs comme les yeux, les doigts.

Majid Rahnema m’a fait voir ce qui s’est passé. Vous vous souvenez peut-être que vers 1980 on a découvert le sida. Un jour, on a demandé à Geremek, l’historien et politicien polonais, s’il avait quelque chose à dire sur l’histoire du sida. Il a répondu : « Mais je crois que le sida ne pouvait pas exister là où vous aviez la permission de mourir d’une infection. » Pour cette raison-là, il n’avait rien à dire sur l’histoire de ce phénomène. Quelque temps plus tard, Majid Rahnema a joué sur le mot de « aids » (sida), en assimilant le développement au sida. Il a parlé du développement – en Amérique et ailleurs – comme d’une destruction, d’une injection de choses et de pensées qui détruisent l’immunité face à notre système de valorisation des choses.

La première fois que j’ai lu ce texte, je ne pouvais pas m’imaginer à quel point les alternatives seront cooptées pour devenir des choix, des options de contre-développement, à l’intérieur du même concept, de la même trivialité. Je prends l’exemple de la médecine : je me souviens très bien de l’époque où des pratiques comme l’acupuncture, la médecine arabe ou d’autres étaient considérées comme du charlatanisme. Quelques années plus tard, elles sont devenues des alternatives pour le malade. Quelques années plus tard encore, elles sont devenues des « complémentaires » ; et aujourd’hui, il y a des soins médicaux intégraux, dans lesquels toutes sortes de techniques et de traditions chantent la même symphonie de la santé. Symphonie qu’il faut poursuivre, en oubliant totalement que pour Monsieur Gallinus, sur la base d’Hippocrate, c’était un mécomportement extrême, pour un médecin, que de soigner une personne qu’il considère dans l’atrium (l’entrée) de la mort. J’ai discuté cette question pendant six mois en 1972 au Pakistan et j’ai compris pourquoi la pratique du hakim dans la tradition islamique n’était pas du tout comparable à celle du médecin moderne. C’est seulement à partir du XIIe siècle que la médecine n’a plus été considérée comme une forme de philosophie appliquée, qu’est apparue la notion, indépendante d’un soin, de quelque chose qui s’appelle la « santé ».

C’est seulement aux XII° et XIII° siècles que les deux notions se sont séparées. Les raisons de cette séparation seraient trop longues à discuter.

Depuis lors, j’ai suivi une route qui consistait à m’éloigner dans le temps,puisque je ne réussissais pas, à mon âge, à apprendre le chinois, qui m’aurait donné une base indépendante du développement des idées occidentales. Je suis donc allé au XII° siècle et là, j’ai été touché par ce dont parle Serge Latouche : l’idée de l’horizon. J’ai tout de suite pensé à Pierre d’Espagne, un père de l’Église de ce siècle-là, qui a une très belle définition de l’horizon. Il explique qu’il s’agit d’une ligne qui passe entre les deux fesses. Avec le côté gauche, nous sommes dans un temps qui n’existe plus pour nous. C’est une espérance éternelle, maisqui commence un jour (ce n’est pas l’éternité de Dieu). Avecle côté droit, nous sommes assis dans le temps. Et il faut faire son possible pour tenir les deux fesses bien ensemble. Je vous cite unPère de l’Église du XII° siècle…

M’adressant maintenant aux modernes, j’ai observé comment le petit mot « je », au cours du XX° siècle, a changé de sens. En Français, « je » est un pronom. Si je dis « Ivan veut », on sait que je ne sais pas encore dire « je », que je suis trop jeune. En anglais, on dit « pronoun », mais ce n’est pas un vrai substantif, ce n’est pas une classe. En allemand, c’est encore différent : «ich » ist cin Fürwort, et je peux le comprendre comme quelque chose qui remplace un mot, für eine Wort, qui n’existe pas, car c’est quelque chose de suprêmement concret. Cela commence avec Freud, avec la recherche du Je, de la personnalité, de l’intégration du Moi. C’est ce sens qui se perd actuellement. C’est une autre raison pour laquelle il est tellement difficile, dans le monde contemporain, d’avoir une ligne d’horizon comme idéal. Cela veut dire : tout le poids sur la fesse droite. Je ne sais pas comment ledire autrement (philosophiquement, c’est un peu plus compliqué).

Dans la langue malaise, on ne peut pas dire une phrase sans bien distinguer entre le kita et le kami. Par exemple, « nous avons rendez-vous ce soir », vous êtes avecMadame. En français vous ne savez pas si ça s’adresse à vous ou à Madame. C’est une chose impossible dans les langues qui ont un pluriel du « je » clairement fixé par les mots.

Lorsque j’ai demandé à mon ami Matthias Rieger : « Comment arriver à expliquer de quelles manières les trivialités se sont changées ? », il m’a envoyé une lettre dont je vous lis un extrait :

« La première fois que j’ai lu le programme du colloque « défaire le développement, refaire le monde », mon cœur a sursauté. Le sujet de ce colloque m’a donné l’impression d’être invité à une réunion internationale de dieux. Je me suis dit que ces deux idées – re-faire le monde et de dé-faire le développement – ne pouvaient se concevoir que dans l’Olympe. Ça peut être un Olympe alternatif, mais c’est l’Olympe. C’est global. »

Je me demande pourquoi le développement a eu un tel effet transformateur sur les millions et millions d’hommes qui travaillent encore la terre à la main, la majorité. Je me demande à quel point ils sont déjà modernisés, développés aujourd’hui.

L’autre ami que j’aimerais vous faire entendre, Samuel Sajay (indien et professeur aux États-Unis), m’écrit : « Ivan, vous avez parlé de l’effet symbolique du développement, de l’école qui inévitablement classifie les gens et leur donne la responsabilité d’appartenir à leur classe d’origine; de la médecine qui crée dans le monde d’aujourd’hui les pathologies qu’elle diagnostique… »

Il me dit : « Dans la mesure où le développement associe à ses échecs techniques des effets symboliques réussis de son point de vue, on peut dire que le développement, dont le but consistait à développer les humains, est un franc succès. »

Vous me demanderez, qu’est-ce que ça veut dire ? Je trouve ce mot « humain » dé-goû-tant! Dernièrement, j’ai consulté l’Encyclopaedia Britannica sur CD-Rom. Je voulais savoir comment on définit la communication. Et qu’est-ce que je trouve ? « Pour les humains, la communication est… etc. » Premièrement, le mot « humain » est écrit en bleu, puis il y a une indication « regardez dans l’index ce que ça veut dire ». Le développement a fait de nous des « humains ».

Je reviens à mon ami : « Le développement des humains comme fonction latente de la technique est un franc succès. Partout dans le monde, les gens croient maintenant sincèrement qu’ils sont humains. L’humain est devenu un être reconnu légalement plutôt qu’une créature naturelle. »

Inévitablement, je repense au vieux professeur Tenenbaum qui parlait dans un très beau livre, il y a quarante ans, de la différence de traitement des esclaves entre le Nord et le Sud. Dans le Sud, il y a eu des conciles au XVI° siècle en Espagne pour vérifier si les esclaves étaient vraiment des humains, des Hommes. En Amérique latine, s’ils étaient des hommes, on devait avoir une raison pour les mettre en esclavage. Dans le Nord, on avait l’idée qu’on devient humain en devenant citoyen.

Samuel Sajay continue : « Le sens des proportions, de ce qui est adéquat, approprié et bon ne peut pas exister dans un monde technogène, un monde donc non naturel. Si le monde est « fabriqué » (« Refaire le monde »), il ne sera pas naturel, c’est-à-dire qu’il ne sera pas une donnée avec laquelle je dois vivre. »

C’est une base fondamentale de la pensée de toutes les traditions que je connais, de la proportionnalité, de l’harmonie, de ce qu’on appelle « le bien ». Évidemment, nous rions si je reprends l’expression d’Aristote, qui dit que la pierre tombe parce qu’elle a un désir pour l’en-droit « bon » auquel elle appartient. Ce n’est pas être dans l’espace, c’est penser avec les pieds par terre. Sajay conclut : « L’humain sera coopté pour contribuer au self management, au management global. »

Maintenant, si mes yeux se sont ouverts sur ce qui se passe dans cette déshumanisation, cette décorporalisation, je le dois à Silja Samersky, généticienne certifiée et docteur en philosophie. Elle a travaillé sur une quarantaine d’interviews de femmes enceintes réalisées en Allemagne. Elle m’a montré d’une manière effrayante comment, en une heure et demie, dans un rituel absurde, une femme qui attend normalement son enfant est transformée… en decision maker. La mère a en face d’elle un profil de probabilités et de risques, comme un « décideur », sur la base duquel elle doit prendre sa décision. Une décision qui n’est pas prise avec ce qu’on appelait la « volonté ».

De nouveau je retourne à mes chers dictionnaires : dans le nouveau, énorme, dictionnaire de philosophie de l’éditeur Routledge, au mot will (la volonté), il est dit : « Une faculté autrefois attribuée à l’être humain. » C’est une entrée d’un quart de page, je vous conseille, si vous êtes intéressé, d’y aller voir.

Silja m’a fait comprendre ce qui se passe dans cet instant exemplaire et qu’il ne me sera jamais possible de vraiment sentir dans mes entrailles, cet instant où la maman pense à ce qui naît en elle comme à un être de valeur auquel il faut appliquer une réflexion sur les chances et les risques, un profil de risques. Elle m’a fait comprendre à quel point c’est une trahison.

Je pense que si vous voulez réfléchir à la situation dans laquelle nous nous trouvons – appelons-la le « doute grave » sur le développement – il faut s’intéresser à ce concept d’« harmonie ».

Matthias Rieger m’a fait comprendre que la musique était un arrangement d’harmonies et que c’est Heinholtz, le Einstein du XIX° siècle, qui a dit que « cette pensée d’harmonie, ne s’applique pas à un monde où ce qui était harmonie est transformé en valeur. »

Cette valeur, qui s’exprime en Hertz, peut devenir une lutte en 1870 entre Berlin et Paris si la base de cette valeur est par exemple 440 Hz plutôt que 445 Hz. Pour cette raison, l’art peut devenir quelque chose de calculable. J’aime cette musique, je suis corrompu par cette musique moderne qui est une œuvre d’art, indépendante de celui qui écoute, qui existeen soi, faite par des tons, calculée, en opposition à ce qu’était l’écoute pour les vieux : une harmonie, une relation entre la flûte et l’oreille.